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acte III – Scène 15

DORIMÈNE, DORANTE, LAQUAIS.

LAQUAIS: Monsieur dit comme cela qu'il va venir ici tout à
l'heure.

DORANTE: Voilà qui est bien.

DORIMÈNE: Je ne
sais pas, Dorante, je fais encore ici une étrange démarche, de me
laisser amener par vous dans une maison où je ne connais personne.

DORANTE: Quel lieu voulez-vous donc, Madame, que mon amour
choisisse pour vous régaler, puisque, pour fuir l'éclat,
vous ne voulez ni votre maison, ni la mienne?

DORIMÈNE: Mais vous ne dites pas que je m'engage
insensiblement, chaque jour, à recevoir de trop grands
témoignages de votre passion! J'ai beau me défendre des
choses, vous fatiguez ma résistance, et vous avez une civile
opiniâtreté qui me fait venir doucement à tout ce qu'il
vous plaît. Les visites fréquentes ont commencé; les
déclarations sont venues ensuite, qui après elles ont
traîné les sérénades et les cadeaux, que les
présents ont suivis. Je me suis opposée à tout cela,
mais vous ne vous rebutez point, et, pied à pied, vous gagnez
mes résolutions. Pour moi, je ne puis plus répondre de
rien, et je crois qu'à la fin vous me ferez venir au mariage,
dont je me suis tant éloignée.

DORANTE: Ma foi! Madame, vous y devriez déjà être. Vous
êtes veuve, et ne dépendez que de vous. Je suis maître
de moi, et vous aime plus que ma vie. à quoi tient-il que
dès aujourd'hui vous ne fassiez tout mon bonheur?

DORIMÈNE: Mon Dieu! Dorante, il faut des deux parts bien des
qualités pour vivre heureusement ensemble; et les deux plus
raisonnables personnes du monde ont souvent peine à composer
une union dont ils soient satisfaits.

DORANTE: Vous vous moquez, Madame, de vous y figurer tant de
difficultés; et l'expérience que vous avez faite ne conclut
rien pour tous les autres.

DORIMÈNE: Enfin j'en reviens toujours là: les dépenses
que je vous vois faire pour moi m'inquiètent par deux raisons:
l'une, qu'elles m'engagent plus que je ne voudrais; et l'autre,
que je suis sûre, sans vous déplaire, que vous ne les
faites point que vous ne vous incommodiez; et je ne veux point cela.

DORANTE: Ah! Madame, ce sont des bagatelles; et ce n'est pas par là.

DORIMÈNE: Je sais ce que je dis; et, entre autres, le diamant
que vous m'avez forcée à prendre est d'un prix.

DORANTE: Eh! Madame, de grâce, ne faites point tant valoir une
chose que mon amour trouve indigne de vous; et souffrez. Voici le
maître du logis.