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acte III – Scène 4

DORANTE, MONSIEUR JOURDAIN,
MADAME JOURDAIN, NICOLE.

DORANTE: Mon cher ami, Monsieur Jourdain,
comment vous portez-vous?

MONSIEUR JOURDAIN: Fort bien, Monsieur, pour
vous rendre mes petits services.

DORANTE: Et Madame Jourdain que voilà, comment se porte-t-elle?

MADAME JOURDAIN: Madame Jourdain se porte comme elle peut.

DORANTE: Comment, Monsieur Jourdain? vous voilà le plus propre du monde!

MONSIEUR JOURDAIN: Vous voyez.

DORANTE: Vous avez tout à fait bon air avec cet habit, et nous
n'avons point de jeunes gens à la cour qui soient mieux faits que vous.

MONSIEUR JOURDAIN: Hay, hay.

MADAME JOURDAIN: Il le gratte par où il se démange.

DORANTE: Tournez-vous. Cela est tout à fait galant.

MADAME JOURDAIN: Oui, aussi sot par derrière que par devant.

DORANTE: Ma foi! Monsieur Jourdain, j'avais une impatience
étrange de vous voir. Vous êtes l'homme du monde que
j'estime le plus, et je parlais de vous encore ce matin dans la
chambre du Roi.

MONSIEUR JOURDAIN: Vous me faites beaucoup d'honneur, Monsieur.
(à Madame Jourdain.) Dans la chambre du Roi!

DORANTE: Allons, mettez.

MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur, je sais le respect que je vous dois.

DORANTE: Mon Dieu! mettez: point de cérémonie entre nous,
je vous prie.

MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur.

DORANTE: Mettez, vous dis-je, Monsieur Jourdain: vous êtes mon ami.

MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur, je suis votre serviteur.

DORANTE: Je ne me couvrirai point, si vous ne vous couvrez.

MONSIEUR JOURDAIN: J'aime mieux être incivil qu'importun.

DORANTE: Je suis votre débiteur, comme vous le savez.

MADAME JOURDAIN: Oui, nous ne le savons que trop.

DORANTE: Vous m'avez généreusement prêté de l'argent
en plusieurs occasions, et m'avez obligé de la meilleure
grâce du monde, assurément.

MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur, vous vous moquez.

DORANTE: Mais je sais rendre ce qu'on me prête, et
reconnaître les plaisirs qu'on me fait.

MONSIEUR JOURDAIN: Je n'en doute point, Monsieur.

DORANTE: Je veux sortir d'affaire avec vous, et je viens ici pour
faire nos comptes ensemble.

MONSIEUR JOURDAIN: Hé bien! vous voyez votre impertinence, ma femme.

DORANTE: Je suis homme qui aime à m'acquitter le plus tôt
que je puis.

MONSIEUR JOURDAIN: Je vous le disais bien.

DORANTE: Voyons un peu ce que je vous dois.

MONSIEUR JOURDAIN: Vous voilà, avec vos soupçons ridicules.

DORANTE: Vous souvenez-vous bien de tout l'argent que vous m'avez
prêté?

MONSIEUR JOURDAIN: Je crois que oui. J'en ai fait un petit
mémoire. Le voici. Donné à vous une fois deux cents louis.

DORANTE: Cela est vrai.

MONSIEUR JOURDAIN: Une autre fois, six-vingts.

DORANTE: Oui.

MONSIEUR JOURDAIN: Et une autre fois, cent quarante.

DORANTE: Vous avez raison.

MONSIEUR JOURDAIN: Ces trois articles font quatre cent soixante
louis, qui valent cinq mille soixante livres.

DORANTE: Le compte est fort bon. Cinq mille soixante livres.

MONSIEUR JOURDAIN: Mille huit cent trente-deux livres à votre
plumassier.

DORANTE: Justement.

MONSIEUR JOURDAIN: Deux mille sept cent quatre-vingts livres à
votre tailleur.

DORANTE: Il est vrai.

MONSIEUR JOURDAIN: Quatre mille trois cent septante-neuf livres
douze sols huit deniers à votre marchand.

DORANTE: Fort bien. Douze sols huit deniers: le compte est juste.

MONSIEUR JOURDAIN: Et mille sept cent quarante-huit livres sept
sols quatre deniers à votre sellier.

DORANTE: Tout cela est véritable. Qu'est-ce que cela fait?

MONSIEUR JOURDAIN: Somme totale, quinze mille huit cents livres.

DORANTE: Somme totale est juste: quinze mille huit cents livres.
Mettez encore deux cents pistoles que vous m'allez donner, cela
fera justement dix-huit mille francs, que je vous payerai au
premier jour.

MADAME JOURDAIN: Hé bien! ne l'avais-je pas bien
deviné?

MONSIEUR JOURDAIN: Paix!

DORANTE: Cela vous incommodera-t-il, de me donner ce que je vous dis?

MONSIEUR JOURDAIN: Eh non!

MADAME JOURDAIN: Cet homme-là fait de vous une vache à lait.

MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous.

DORANTE: Si cela vous incommode, j'en irai chercher ailleurs.

MONSIEUR JOURDAIN: Non, Monsieur.

MADAME JOURDAIN: Il ne sera pas content, qu'il ne vous ait ruiné.

MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous, vous dis-je.

DORANTE: Vous n'avez qu'à me dire si cela vous embarrasse.

MONSIEUR JOURDAIN: Point, Monsieur.

MADAME JOURDAIN: C'est un vrai enjôleux.

MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous donc.

MADAME JOURDAIN: Il vous sucera jusqu'au dernier sou.

MONSIEUR JOURDAIN: Vous tairez-vous?

DORANTE: J'ai force gens qui m'en prêteraient avec joie; mais
comme vous êtes mon meilleur ami, j'ai cru que je vous ferais
tort si j'en demandais à quelque autre.

MONSIEUR JOURDAIN: C'est trop d'honneur, Monsieur, que vous me
faites. Je vais quérir votre affaire.

MADAME JOURDAIN: Quoi? vous allez encore lui donner cela?

MONSIEUR JOURDAIN: Que faire? voulez-vous que je refuse un homme
de cette condition-là, qui a parlé de moi ce matin dans la chambre
du Roi?

MADAME JOURDAIN: Allez, vous êtes une vraie dupe.

acte III – Scène 3

MADAME JOURDAIN, MONSIEUR JOURDAIN, NICOLE, LAQUAIS.

MADAME JOURDAIN: Ah, ah! voici une nouvelle histoire. Qu'est-ce
que c'est donc, mon mari, que cet équipage-là? Vous
moquez-vous du monde, de vous être fait enharnacher de la
sorte? et avez-vous envie qu'on se raille partout de vous?

MONSIEUR JOURDAIN: Il n'y a que des sots et des sottes, ma femme,
qui se railleront de moi.

MADAME JOURDAIN: Vraiment on n'a pas attendu jusqu'à cette
heure, et il y a longtemps que vos façons de faire donnent
à rire à tout le monde.

MONSIEUR JOURDAIN: Qui est donc tout ce monde-là, s'il vous plaît?

MADAME JOURDAIN: Tout ce monde-là est un monde qui a raison,
et qui est plus sage que vous. Pour moi, je suis scandalisée
de la vie que vous menez. Je ne sais plus ce que c'est que notre
maison: on dirait qu'il est céans carême-prenant tous les
jours; et dès le matin, de peur d'y manquer, on y entend des
vacarmes de violons et de chanteurs, dont tout le voisinage se
trouve incommodé.

NICOLE: Madame parle bien. Je ne saurais plus voir mon ménage
propre, avec cet attirail de gens que vous faites venir chez
vous. Ils ont des pieds qui vont chercher de la boue dans tous
les quartiers de la ville, pour l'apporter ici; et la pauvre
Françoise est presque sur les dents, à frotter les
planchers que vos beaux maîtres viennent crotter
régulièrement tous les jours.

MONSIEUR JOURDAIN: Ouais, notre servante Nicole, vous avez le
caquet bien affilé pour une paysanne.

MADAME JOURDAIN: Nicole a raison, et son sens est meilleur que le
vôtre. Je voudrais bien savoir ce que vous pensez faire d'un
maître à danser à l'âge que vous avez.

NICOLE: Et d'un grand maître tireur d'armes, qui vient, avec
ses battements de pied, ébranler toute la maison, et nous
déraciner tous les carriaux de notre salle?

MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous, ma servante, et ma femme.

MADAME JOURDAIN: Est-ce que vous voulez apprendre à danser
pour quand vous n'aurez plus de jambes?

NICOLE: Est-ce que vous avez envie de tuer quelqu'un?

MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous, vous dis-je: vous êtes des
ignorantes l'une et l'autre, et vous ne savez pas les
prérogatives de tout cela.

MADAME JOURDAIN: Vous devriez bien plutôt songer à marier
votre fille, qui est en âge d'être pourvue.

MONSIEUR JOURDAIN: Je songerai à marier ma fille quand il se
présentera un parti pour elle; mais je veux songer aussi à
apprendre les belles choses.

NICOLE: J'ai encore ouï dire, Madame, qu'il a pris
aujourd'hui, pour renfort de potage un maître de philosophie.

MONSIEUR JOURDAIN: Fort bien: je veux avoir de l'esprit, et
savoir raisonner des choses parmi les honnêtes gens.

MADAME JOURDAIN: N'irez-vous point l'un de ces jours au
collège vous faire donner le fouet, à votre âge?

MONSIEUR JOURDAIN: Pourquoi non? Plût à Dieu l'avoir tout
à l'heure, le fouet, devant tout le monde, et savoir ce qu'on
apprend au collège!

NICOLE: Oui, ma foi! Cela vous rendrait la jambe bien mieux faite.

MONSIEUR JOURDAIN: Sans doute.

MADAME JOURDAIN: Tout cela est fort nécessaire pour conduire
votre maison.

MONSIEUR JOURDAIN: Assurément. Vous parlez toutes deux comme
des bêtes, et j'ai honte de votre ignorance. Par exemple,
savez-vous, vous, ce que c'est que vous dites à cette heure?

MADAME JOURDAIN: Oui, je sais que ce que je dis est fort bien
dit, et que vous devriez songer à vivre d'autre sorte.

MONSIEUR JOURDAIN: Je ne parle pas de cela. Je vous demande ce
que c'est que les paroles que vous dites ici?

MADAME JOURDAIN: Ce sont des paroles bien sensées, et votre
conduite ne l'est guère.

MONSIEUR JOURDAIN: Je ne parle pas de cela, vous dis-je. Je vous
demande: ce que je parle avec vous, ce que je vous dis à cette
heure, qu'est-ce que c'est?

MADAME JOURDAIN: Des chansons.

MONSIEUR JOURDAIN: Hé non! ce n'est pas cela. Ce que nous
disons tous deux, le langage que nous parlons à cette heure?

MADAME JOURDAIN: Hé bien?

MONSIEUR JOURDAIN: Comment est-ce que cela s'appelle?

MADAME JOURDAIN: Cela s'appelle comme on veut l'appeler.

MONSIEUR JOURDAIN: C'est de la prose, ignorante.

MADAME JOURDAIN: De la prose?

MONSIEUR JOURDAIN: Oui, de la prose. Tout ce qui est prose, n'est
point vers; et tout ce qui n'est point vers est prose. Heu,
voilà ce que c'est d'étudier. Et toi, sais-tu bien comme il
faut faire pour dire un U?

NICOLE: Comment?

MONSIEUR JOURDAIN: Oui. Qu'est-ce que tu fais quand tu dis un U?

NICOLE: Quoi?

MONSIEUR JOURDAIN: Dis un peu, U, pour voir?

NICOLE: Hé bien, U.

MONSIEUR JOURDAIN: Qu'est-ce que tu fais?

NICOLE: Je dis, U.

MONSIEUR JOURDAIN: Oui; mais quand tu dis U, qu'est-ce que tu fais?

NICOLE: Je fais ce que vous me dites.

MONSIEUR JOURDAIN: Ô l'étrange chose que d'avoir affaire
à des bêtes! Tu allonges les lèvres en dehors, et
approches la mâchoire d'en haut de celle d'en bas: U, vois-tu?
U, vois-tu? Je fais la moue: U.

NICOLE: Oui, cela est biau.

MADAME JOURDAIN: Voilà qui est admirable.

MONSIEUR JOURDAIN: C'est bien autre chose, si vous aviez vu o, et
da, da, et fa, fa.

MADAME JOURDAIN: Qu'est-ce que c'est donc que tout ce galimatias-là?

NICOLE: De quoi est-ce que tout cela guérit?

MONSIEUR JOURDAIN: J'enrage quand je vois des femmes ignorantes.

MADAME JOURDAIN: Allez, vous devriez envoyer promener tous ces
gens-là, avec leurs fariboles.

NICOLE: Et surtout ce grand escogriffe de maître d'armes, qui
remplit de poudre tout mon ménage.

MONSIEUR JOURDAIN: Ouais, ce maître d'armes vous tient bien au
cœur. Je te veux faire voir ton impertinence tout à l'heure.
(Il fait apporter les fleurets, et en donne à Nicole.) Tiens.
Raison démonstrative, la ligne du corps. Quand on pousse en
quarte, on n'a qu'à faire cela, et quand on pousse en tierce,
on n'a qu'à faire cela. Voilà le moyen de n'être jamais
tué; et cela n'est-il pas beau, d'être assuré de son
fait, quand on se bat contre quelqu'un? Là, pousse-moi un peu
pour voir.

NICOLE: Hé bien, quoi?

Nicole lui pousse plusieurs coups.

MONSIEUR JOURDAIN: Tout beau, holà, oh! doucement. Diantre
soit la coquine!

NICOLE: Vous me dites de pousser.

MONSIEUR JOURDAIN: Oui; mais tu me pousses en tierce, avant que
de pousser en quarte, et tu n'as pas la patience que je pare.

MADAME JOURDAIN: Vous êtes fou, mon mari, avec toutes vos
fantaisies, et cela vous est venu depuis que vous vous mêlez
de hanter la noblesse.

MONSIEUR JOURDAIN: Lorsque je hante la noblesse, je fais
paraître mon jugement, et cela est plus beau que de hanter
votre bourgeoisie.

MADAME JOURDAIN: Çamon vraiment! il y a fort à gagner à
fréquenter vos nobles, et vous avez bien opéré avec ce
beau Monsieur le comte dont vous vous êtes
embéguiné.

MONSIEUR JOURDAIN: Paix! Songez à ce que vous dites.
Savez-vous bien, ma femme, que vous ne savez pas de qui vous
parlez, quand vous parlez de lui? C'est une personne d'importance
plus que vous ne pensez, un seigneur que l'on considère à
la cour, et qui parle au Roi tout comme je vous parle. N'est-ce
pas une chose qui m'est tout à fait honorable, que l'on voie
venir chez moi si souvent une personne de cette qualité, qui
m'appelle son cher ami, et me traite comme si j'étais son
égal? Il a pour moi des bontés qu'on ne devinerait jamais;
et, devant tout le monde, il me fait des caresses dont je suis
moi-même confus.

MADAME JOURDAIN: Oui, il a des bontés pour vous, et vous fait
des caresses; mais il vous emprunte votre argent.

MONSIEUR JOURDAIN: Hé bien! ne m'est-ce pas de l'honneur, de
prêter de l'argent à un homme de cette condition-là? et
puis-je faire moins pour un seigneur qui m'appelle son cher ami?

MADAME JOURDAIN: Et ce seigneur que fait-il pour vous?

MONSIEUR JOURDAIN: Des choses dont on serait étonné, si on
les savait.

MADAME JOURDAIN: Et quoi?

MONSIEUR JOURDAIN: Baste, je ne puis pas m'expliquer. Il suffit
que si je lui ai prêté de l'argent, il me le rendra bien,
et avant qu'il soit peu.

MADAME JOURDAIN: Oui, attendez-vous à cela.

MONSIEUR JOURDAIN: Assurément: ne me l'a-t-il pas dit?

MADAME JOURDAIN: Oui, oui: il ne manquera pas d'y faillir.

MONSIEUR JOURDAIN: Il m'a juré sa foi de gentilhomme.

MADAME JOURDAIN: Chansons.

MONSIEUR JOURDAIN: Ouais, vous êtes bien obstinée, ma
femme. Je vous dis qu'il me tiendra parole, j'en suis sûr.

MADAME JOURDAIN: Et moi, je suis sûre que non, et que toutes
les caresses qu'il vous fait ne sont que pour vous enjôler.

MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous: le voici.

MADAME JOURDAIN: Il ne nous faut plus que cela. Il vient
peut-être encore vous faire quelque emprunt; et il me semble
que j'ai dîné quand je le vois.

MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous, vous dis-je.

acte III – Scène 2

NICOLE, MONSIEUR JOURDAIN,
LAQUAIS.

MONSIEUR JOURDAIN: Nicole!

NICOLE: Plaît-il?

MONSIEUR JOURDAIN: Écoutez.

NICOLE, rit: Hi, hi, hi, hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Qu'as-tu à rire?

NICOLE: Hi, hi, hi, hi, hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Que veut dire cette coquine-là?

NICOLE: Hi, hi, hi. Comme vous voilà bâti! Hi, hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Comment donc?

NICOLE: Ah, ah! mon Dieu! Hi, hi, hi, hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Quelle friponne est-ce là! Te moques-tu de moi?

NICOLE: Nenni, Monsieur, j'en serais bien fâchée. Hi, hi,
hi, hi, hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Je te baillerai sur le nez, si tu ris davantage.

NICOLE: Monsieur, je ne puis pas m'en empêcher. Hi, hi, hi,
hi, hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Tu ne t'arrêteras pas?

NICOLE: Monsieur, je vous demande pardon; mais vous êtes si
plaisant, que je ne saurais me tenir de rire. Hi, hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Mais voyez quelle insolence!

NICOLE: Vous êtes tout à fait drôle comme cela. Hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Je te.

NICOLE: Je vous prie de m'excuser. Hi, hi, hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Tiens, si tu ris encore le moins du monde, je
te jure que je t'appliquerai sur la joue le plus grand soufflet
qui se soit jamais donné.

NICOLE: Hé bien, Monsieur, voilà qui est fait, je ne rirai plus.

MONSIEUR JOURDAIN: Prends-y bien garde. Il faut que pour
tantôt tu nettoies.

NICOLE: Hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Que tu nettoies comme il faut.

NICOLE: Hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Il faut, dis-je, que tu nettoies la salle, et…

NICOLE: Hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Encore!

NICOLE: Tenez, Monsieur, battez-moi plutôt et me laissez rire
tout mon soûl, cela me fera plus de bien. Hi, hi, hi, hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: J'enrage.

NICOLE: De grâce, Monsieur, je vous prie de me laisser rire.
Hi, hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Si je te prends.

NICOLE: Monsieur, eur, je crèverai, ai, si je ne ris. Hi, hi, hi.

MONSIEUR JOURDAIN: Mais a-t-on jamais vu une pendarde comme
celle-là? Qui me vient rire insolemment au nez, au lieu de
recevoir mes ordres?

NICOLE: Que voulez-vous que je fasse, Monsieur?

MONSIEUR JOURDAIN: Que tu songes, coquine, à préparer ma
maison pour la compagnie qui doit venir tantôt.

NICOLE: Ah, par ma foi! je n'ai plus envie de rire; et toutes vos
compagnies font tant de désordre céans, que ce mot est
assez pour me mettre en mauvaise humeur.

MONSIEUR JOURDAIN: Ne dois-je point pour toi fermer ma porte à
tout le monde?

NICOLE: Vous devriez au moins la fermer à certaines gens.

acte III – Scène 1

MONSIEUR JOURDAIN et ses deux LAQUAIS.

MONSIEUR JOURDAIN: Suivez-moi, que j'aille un peu montrer mon
habit par la ville; et surtout ayez soin tous deux de marcher
immédiatement sur mes pas, afin qu'on voie bien que vous
êtes à moi.

LAQUAIS: Oui, Monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN: Appelez-moi Nicole, que je lui donne quelques
ordres. Ne bougez, la voilà.

acte II – Scène 5

MAÎTRE TAILLEUR, GARÇON
TAILLEUR, portant l'habit de M. Jourdain, MONSIEUR JOURDAIN, LAQUAIS.

MONSIEUR JOURDAIN: Ah vous voilà! je m'allais mettre en colère
contre vous.

MAÎTRE TAILLEUR: Je n'ai pas pu venir plus tôt, et j'ai mis
vingt garçons après votre habit.

MONSIEUR JOURDAIN: Vous m'avez envoyé des bas de soie si
étroits, que j'ai eu toutes les peines du monde à les
mettre, et il y a deux mailles de rompues.

MAÎTRE TAILLEUR: Ils ne s'élargiront que trop.

MONSIEUR JOURDAIN: Oui, si je romps toujours des mailles. Vous
m'avez aussi fait faire des souliers qui me blessent furieusement.

MAÎTRE TAILLEUR: Point du tout, Monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN: Comment, point du tout?

MAÎTRE TAILLEUR: Non, ils ne vous blessent point.

MONSIEUR JOURDAIN: Je vous dis qu'ils me blessent, moi.

MAÎTRE TAILLEUR: Vous vous imaginez cela.

MONSIEUR JOURDAIN: Je me l'imagine, parce que je le sens. Voyez
la belle raison!

MAÎTRE TAILLEUR: Tenez, voilà le plus bel habit de la cour,
et le mieux assorti. C'est un chef-d'œuvre que d'avoir
inventé un habit sérieux qui ne fût pas noir; et je le
donne en six coups aux tailleurs les plus éclairés.

MONSIEUR JOURDAIN: Qu'est-ce que c'est que ceci? Vous avez mis
les fleurs en enbas.

MAÎTRE TAILLEUR: Vous ne m'aviez pas dit que vous les vouliez
en enhaut.

MONSIEUR JOURDAIN: Est-ce qu'il faut dire cela?

MAÎTRE TAILLEUR: Oui, vraiment. Toutes les personnes de
qualité les portent de la sorte.

MONSIEUR JOURDAIN: Les personnes de qualité portent les fleurs en enbas?

MAÎTRE TAILLEUR: Oui, Monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN: Oh! voilà qui est donc bien.

MAÎTRE TAILLEUR: Si vous voulez, je les mettrai en enhaut.

MONSIEUR JOURDAIN: Non, non.

MAÎTRE TAILLEUR: Vous n'avez qu'à dire.

MONSIEUR JOURDAIN: Non, vous dis-je; vous avez bien fait.
Croyez-vous que mon habit m'aille bien?

MAÎTRE TAILLEUR: Belle demande! Je défie un peintre, avec
son pinceau, de vous faire rien de plus juste. J'ai chez moi un
garçon qui, pour monter une rhingrave, est le plus grand
génie du monde; et un autre qui, pour assembler un pourpoint,
est le héros de notre temps.

MONSIEUR JOURDAIN: La perruque, et les plumes sont-elles comme il faut?

MAÎTRE TAILLEUR: Tout est bien.

MONSIEUR JOURDAIN, en regardant l'habit du tailleur: Ah, ah!
Monsieur le tailleur, voilà de mon étoffe du dernier habit
que vous m'avez fait. Je la reconnais bien.

MAÎTRE TAILLEUR: C'est que l'étoffe me sembla si belle, que
j'en ai voulu lever un habit pour moi.

MONSIEUR JOURDAIN: Oui, mais il ne fallait pas le lever avec le mien.

MAÎTRE TAILLEUR: Voulez-vous mettre votre habit?

MONSIEUR JOURDAIN: Oui, donnez-le-moi.

MAÎTRE TAILLEUR: Attendez. Cela ne va pas comme cela. J'ai
amené des gens pour vous habiller en cadence, et ces sortes
d'habits se mettent avec cérémonie. Holà! entrez, vous
autres. Mettez cet habit à Monsieur, de la manière que vous
faites aux personnes de qualité.

Quatre garçons tailleurs entrent, dont deux lui arrachent le
haut-de-chausses de ses exercices, et deux autres la camisole;
puis ils lui mettent son habit neuf; et M. Jourdain se promène
entre eux, et leur montre son habit, pour voir s'il est bien. Le
tout à la cadence de toute la symphonie.

GARÇON TAILLEUR: Mon gentilhomme, donnez, s'il vous plaît,
aux garçons quelque chose pour boire.

MONSIEUR JOURDAIN: Comment m'appelez-vous?

GARÇON TAILLEUR: Mon gentilhomme.

MONSIEUR JOURDAIN: "Mon gentilhomme!" Voilà ce que
c'est de se mettre en personne de qualité. Allez-vous-en
demeurer toujours habillé en bourgeois, on ne vous dira point:
"mon gentilhomme." Tenez, voilà pour "Mon
gentilhomme."

GARÇON TAILLEUR: Monseigneur, nous vous sommes bien obligés.

MONSIEUR JOURDAIN: "Monseigneur" , oh, oh!
"Monseigneur"! Attendez, mon ami:
"Monseigneur" mérite quelque chose, et ce n'est pas
une petite parole que "Monseigneur." Tenez, voilà ce
que Monseigneur vous donne.

GARÇON TAILLEUR: Monseigneur, nous allons boire tous à la
santé de Votre Grandeur.

MONSIEUR JOURDAIN: "Votre Grandeur!" Oh, oh, oh!
Attendez, ne vous en allez pas. à moi "Votre
Grandeur!" Ma foi, s'il va jusqu'à l'Altesse, il aura
toute la bourse. Tenez, voilà pour Ma Grandeur.

GARÇON TAILLEUR: Monseigneur, nous la remercions très
humblement de ses libéralités.

MONSIEUR JOURDAIN: Il a bien fait: je lui allais tout donner.