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Autor: juanavictoria77

acte III – Scène 11

MADAME JOURDAIN, CLÉONTE,
LUCILE, COVIELLE, NICOLE.

MADAME JOURDAIN: Je suis bien aise de vous
voir, Cléonte, et vous voilà tout à propos. Mon mari vient;
prenez vite votre temps pour lui demander Lucile en mariage.

CLÉONTE: Ah! Madame, que cette parole m'est douce, et qu'elle flatte mes
désirs! Pouvais-je recevoir un ordre plus charmant? une faveur plus
précieuse?

acte III – Scène 10

CLÉONTE, LUCILE, COVIELLE, NICOLE.

NICOLE: Pour moi, j'en ai été toute scandalisée.

LUCILE: Ce ne peut être, Nicole, que ce que je dis. Mais le voilà.

CLÉONTE: Je ne veux pas seulement lui parler.

COVIELLE: Je veux vous imiter.

LUCILE: Qu'est-ce donc, Cléonte? qu'avez-vous?

NICOLE: Qu'as-tu donc, Covielle?

LUCILE: Quel chagrin vous possède?

NICOLE: Quelle mauvaise humeur te tient?

LUCILE: ètes-vous muet, Cléonte?

NICOLE: As-tu perdu la parole, Covielle?

CLÉONTE: Que voilà qui est scélérat!

COVIELLE: Que cela est Judas!

LUCILE: Je vois bien que la rencontre de tantôt a troublé
votre esprit.

CLÉONTE: Ah, ah! on voit ce qu'on a fait.

NICOLE: Notre accueil de ce matin t'a fait prendre la chèvre.

COVIELLE: On a deviné l'enclouure.

LUCILE: N'est-il pas vrai, Cléonte, que c'est là le sujet
de votre dépit?

CLÉONTE: Oui, perfide, ce l'est, puisqu'il faut parler; et
j'ai à vous dire que vous ne triompherez pas comme vous pensez
de votre infidélité, que je veux être le premier à
rompre avec vous, et que vous n'aurez pas l'avantage de me
chasser. J'aurai de la peine, sans doute, à vaincre l'amour
que j'ai pour vous, cela me causera des chagrins, je souffrirai
un temps; mais j'en viendrai à bout, et je me percerai
plutôt le cœur, que d'avoir la faiblesse de retourner à
vous.

COVIELLE: Queussi, queumi.

LUCILE: Voilà bien du bruit pour un rien. Je veux vous dire,
Cléonte, le sujet qui m'a fait ce matin éviter votre abord.

CLÉONTE fait semblant de s'en aller et tourne autour du
théâtre: Non, je ne veux rien écouter.

NICOLE: Je te veux apprendre la cause qui nous a fait passer si vite.

COVIELLE suit Lucile: Je ne veux rien entendre.

LUCILE suit Cléonte: Sachez que ce matin.

CLÉONTE: Non, vous dis-je.

NICOLE suit Covielle: Apprends que…

COVIELLE: Non, traîtresse.

LUCILE: Écoutez.

CLÉONTE: Point d'affaire.

NICOLE: Laisse-moi dire.

COVIELLE: Je suis sourd.

LUCILE: Cléonte.

CLÉONTE: Non.

NICOLE: Covielle.

COVIELLE: Point.

LUCILE: Arrêtez.

CLÉONTE: Chansons.

NICOLE: Entends-moi.

COVIELLE: Bagatelle.

LUCILE: Un moment.

CLÉONTE: Point du tout.

NICOLE: Un peu de patience.

COVIELLE: Tarare.

LUCILE: Deux paroles.

CLÉONTE: Non, c'en est fait.

NICOLE: Un mot.

COVIELLE: Plus de commerce.

LUCILE: Hé bien! puisque vous ne voulez pas m'écouter,
demeurez dans votre pensée, et faites ce qu'il vous plaira.

NICOLE: Puisque tu fais comme cela, prends-le tout comme tu voudras.

CLÉONTE: Sachons donc le sujet d'un si bel accueil.

LUCILE fait semblant de s'en aller à son tour, et fait le
même chemin qu'a fait Cléonte: Il ne me plaît plus de le
dire.

COVIELLE: Apprends-nous un peu cette histoire.

NICOLE: Je ne veux plus, moi, te l'apprendre.

CLÉONTE suit Lucile: Dites-moi.

LUCILE: Non, je ne veux rien dire.

COVIELLE: Conte-moi.

NICOLE suit Cléonte: Non, je ne conte rien.

CLÉONTE: De grâce.

LUCILE: Non, vous dis-je.

COVIELLE suit Nicole: Par charité.

NICOLE: Point d'affaire.

CLÉONTE: Je vous en prie.

LUCILE: Laissez-moi.

COVIELLE: Je t'en conjure.

NICOLE: ôte-toi de là.

CLÉONTE: Lucile.

LUCILE: Non.

COVIELLE: Nicole.

NICOLE: Point.

CLÉONTE: Au nom des Dieux!

LUCILE: Je ne veux pas.

COVIELLE: Parle-moi.

NICOLE: Point du tout.

CLÉONTE: claircissez mes doutes.

LUCILE: Non, je n'en ferai rien.

COVIELLE: Guéris-moi l'esprit.

NICOLE: Non, il ne me plaît pas.

CLÉONTE: Hé bien! puisque vous vous souciez si peu de me
tirer de peine, et de vous justifier du traitement indigne que
vous avez fait à ma flamme, vous me voyez, ingrate, pour la
dernière fois, et je vais loin de vous mourir de douleur et d'amour.

COVIELLE: Et moi, je vais suivre ses pas.

LUCILE: Cléonte.

NICOLE: Covielle.

CLÉONTE: Eh?

COVIELLE: Plaît-il?

LUCILE: Où allez-vous?

CLÉONTE: Où je vous ai dit.

COVIELLE: Nous allons mourir.

LUCILE: Vous allez mourir, Cléonte?

CLÉONTE: Oui, cruelle, puisque vous le voulez.

LUCILE: Moi, je veux que vous mouriez?

CLÉONTE: Oui, vous le voulez.

LUCILE: Qui vous le dit?

CLÉONTE: N'est-ce pas le vouloir, que de ne vouloir pas
éclaircir mes soupçons?

LUCILE: Est-ce ma faute? et si vous aviez voulu m'écouter, ne
vous aurais-je pas dit que l'aventure dont vous vous plaignez a
été causée ce matin par la présence d'une vieille
tante, qui veut à toute force que la seule approche d'un homme
déshonore une fille, qui perpétuellement nous sermonne sur
ce chapitre, et nous figure tous les hommes comme des diables
qu'il faut fuir.

NICOLE. – Voilà le secret de l'affaire.

CLÉONTE: Ne me trompez-vous point, Lucile?

COVIELLE: Ne m'en donnes-tu point à garder?

LUCILE: Il n'est rien de plus vrai.

NICOLE: C'est la chose comme elle est.

COVIELLE: Nous rendrons-nous à cela?

CLÉONTE: Ah! Lucile, qu'avec un mot de votre bouche vous savez
apaiser de choses dans mon cœur! et que facilement on se laisse
persuader aux personnes qu'on aime!

COVIELLE: Qu'on est aisément amadoué par ces diantres
d'animaux-là!

acte III – Scène 9

CLÉONTE, COVIELLE.

CLÉONTE: Quoi? traiter un amant de la sorte, et un amant le
plus fidèle et le plus passionné de tous les amants?

COVIELLE: C'est une chose épouvantable, que ce qu'on nous fait
à tous deux.

CLÉONTE: Je fais voir pour une personne toute l'ardeur et
toute la tendresse qu'on peut imaginer; je n'aime rien au monde
qu'elle, et je n'ai qu'elle dans l'esprit; elle fait tous mes
soins, tous mes désirs, toute ma joie; je ne parle que d'elle,
je ne pense qu'à elle, je ne fais des songes que d'elle, je ne
respire que par elle, mon cœur vit tout en elle: et voilà de
tant d'amitié la digne récompense! Je suis deux jours sans
la voir, qui sont pour moi deux siècles effroyables: je la
rencontre par hasard; mon cœur, à cette vue, se sent tout
transporté, ma joie éclate sur mon visage, je vole avec
ravissement vers elle; et l'infidèle détourne de moi ses
regards, et passe brusquement, comme si de sa vie elle ne m'avait vu!

COVIELLE: Je dis les mêmes choses que vous.

CLÉONTE: Peut-on rien voir d'égal, Covielle, à cette
perfidie de l'ingrate Lucile?

COVIELLE: Et à celle, Monsieur, de la pendarde de Nicole?

CLÉONTE: Après tant de sacrifices ardents, de soupirs, et
de vœux que j'ai faits à ses charmes!

COVIELLE: Après tant d'assidus hommages, de soins et de
services que je lui ai rendus dans sa cuisine!

CLÉONTE: Tant de larmes que j'ai versées à ses genoux!

COVIELLE: Tant de seaux d'eau que j'ai tirés au puits pour elle!

CLÉONTE: Tant d'ardeur que j'ai fait paraître à la
chérir plus que moi-même!

COVIELLE: Tant de chaleur que j'ai soufferte à tourner la
broche à sa place!

CLÉONTE: Elle me fuit avec mépris!

COVIELLE: Elle me tourne le dos avec effronterie!

CLÉONTE: C'est une perfidie digne des plus grands châtiments.

COVIELLE: C'est une trahison à mériter mille soufflets.

CLÉONTE: Ne t'avise point, je te prie, de me parler jamais pour elle.

COVIELLE: Moi, Monsieur! Dieu m'en garde!

CLÉONTE: Ne viens point m'excuser l'action de cette infidèle.

COVIELLE: N'ayez pas peur.

CLÉONTE: Non, vois-tu, tous tes discours pour la défendre
ne serviront de rien.

COVIELLE: Qui songe à cela?

CLÉONTE: Je veux contre elle conserver mon ressentiment, et
rompre ensemble tout commerce.

COVIELLE: J'y consens.

CLÉONTE: Ce Monsieur le Comte qui va chez elle lui donne
peut-être dans la vue; et son esprit, je le vois bien, se
laisse éblouir à la qualité. Mais il me faut, pour mon
honneur, prévenir l'éclat de son inconstance. Je veux faire
autant de pas qu'elle au changement où je la vois courir, et
ne lui laisser pas toute la gloire de me quitter.

COVIELLE: C'est fort bien dit, et j'entre pour mon compte dans
tous vos sentiments.

CLÉONTE: Donne la main à mon dépit, et soutiens ma
résolution contre tous les restes d'amour qui me pourraient
parler pour elle. Dis-m'en, je t'en conjure, tout le mal que tu
pourras; fais-moi de sa personne une peinture qui me la rende
méprisable; et marque-moi bien, pour m'en dégoûter, tous
les défauts que tu peux voir en elle.

COVIELLE: Elle, Monsieur! Voilà une belle mijaurée, une
pimpesouée bien bâtie, pour vous donner tant d'amour! Je ne
lui vois rien que de très médiocre, et vous trouverez cent
personnes qui seront plus dignes de vous. Premièrement, elle a
les yeux petits.

CLÉONTE: Cela est vrai, elle a les yeux petits; mais elle les
a pleins de feux, les plus brillants, les plus perçants du
monde, les plus touchants qu'on puisse voir.

COVIELLE: Elle a la bouche grande.

CLÉONTE: Oui; mais on y voit des grâces qu'on ne voit point
aux autres bouches; et cette bouche, en la voyant, inspire des
désirs, est la plus attrayante, la plus amoureuse du monde.

COVIELLE: Pour sa taille, elle n'est pas grande.

CLÉONTE: Non; mais elle est aisée et bien prise.

COVIELLE: Elle affecte une nonchalance dans son parler, et dans
ses actions.

CLÉONTE: Il est vrai; mais elle a grâce à tout cela, et
ses manières sont engageantes, ont je ne sais quel charme à
s'insinuer dans les cours.

COVIELLE: Pour de l'esprit.

CLÉONTE: Ah! elle en a, Covielle, du plus fin, du plus délicat.

COVIELLE: Sa conversation.

CLÉONTE: Sa conversation est charmante.

COVIELLE: Elle est toujours sérieuse.

CLÉONTE: Veux-tu de ces enjouements épanouis, de ces joies
toujours ouvertes? et vois-tu rien de plus impertinent que des
femmes qui rient à tout propos?

COVIELLE: Mais enfin elle est capricieuse autant que personne du monde.

CLÉONTE: Oui, elle est capricieuse, j'en demeure d'accord;
mais tout sied bien aux belles, on souffre tout des belles.

COVIELLE: Puisque cela va comme cela, je vois bien que vous avez
envie de l'aimer toujours.

CLÉONTE: Moi, j'aimerais mieux mourir; et je vais la haïr
autant que je l'ai aimée.

COVIELLE: Le moyen, si vous la trouvez si parfaite?

CLÉONTE: C'est en quoi ma vengeance sera plus éclatante, en
quoi je veux faire mieux voir la force de mon cœur: à la
haïr, à la quitter, toute belle, toute pleine d'attraits,
toute aimable que je la trouve. La voici.

acte III – Scène 8

CLÉONTE, COVIELLE,
NICOLE.

NICOLE: Ah! vous voilà tout à propos. Je suis une
ambassadrice de joie, et je viens.

CLÉONTE: Retire-toi, perfide, et ne me viens point amuser avec
tes traîtresses paroles.

NICOLE: Est-ce ainsi que vous recevez.?

CLÉONTE: Retire-toi, te dis-je, et va-t'en dire de ce pas à
ton infidèle maîtresse qu'elle n'abusera de sa vie le trop
simple Cléonte.

NICOLE: Quel vertigo est-ce donc là? Mon pauvre Covielle,
dis-moi un peu ce que cela veut dire.

COVIELLE: Ton pauvre Covielle, petite scélérate! Allons
vite, ôte-toi de mes yeux, vilaine, et me laisse en repos.

NICOLE: Quoi? tu me viens aussi.

COVIELLE: ôte-toi de mes yeux, te dis-je, et ne me parle de ta vie.

NICOLE: Ouais! Quelle mouche les a piqués tous deux? Allons de
cette belle histoire informer ma maîtresse.

acte III – Scène 7

MADAME JOURDAIN, NICOLE.

NICOLE: Ma foi! Madame, la curiosité m'a coûté quelque
chose; mais je crois qu'il y a quelque anguille sous roche, et
ils parlent de quelque affaire où ils ne veulent pas que vous soyez.

MADAME JOURDAIN: Ce n'est pas d'aujourd'hui, Nicole, que j'ai
conçu des soupçons de mon mari. Je suis la plus trompée
du monde, ou il y a quelque amour en campagne, et je travaille
à découvrir ce que ce peut être. Mais songeons à ma
fille. Tu sais l'amour que Cléonte a pour elle. C'est un homme
qui me revient, et je veux aider sa recherche, et lui donner
Lucile, si je puis.

NICOLE: En vérité, Madame, je suis la plus ravie du monde
de vous voir dans ces sentiments; car, si le maître vous
revient, le valet ne me revient pas moins, et je souhaiterais que
notre mariage se pût faire à l'ombre du leur.

MADAME JOURDAIN: Va-t'en lui en parler de ma part, et lui dire
que tout à l'heure il me vienne trouver, pour faire ensemble
à mon mari la demande de ma fille.

NICOLE: J'y cours, Madame, avec joie, et je ne pouvais recevoir
une commission plus agréable. Je vais, je pense, bien
réjouir les gens.