Skip to main content

Autor: juanavictoria77

acte II – Scène 1

MONSIEUR
JOURDAIN, MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE à DANSER, LAQUAIS.

MONSIEUR JOURDAIN: Voilà qui n'est point sot, et ces gens-là se
trémoussent bien.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Lorsque la danse sera mêlée avec la
musique, cela fera plus d'effet encore, et vous verrez quelque
chose de galant dans le petit ballet que nous avons ajusté pour vous.

MONSIEUR JOURDAIN: C'est pour tantôt au moins; et la personne
pour qui j'ai fait faire tout cela, me doit faire l'honneur de
venir dîner céans.

MAÎTRE à DANSER: Tout est prêt.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Au reste, Monsieur, ce n'est pas assez: il
faut qu'une personne comme vous, qui êtes magnifique, et qui
avez de l'inclination pour les belles choses, ait un concert de
musique chez soi tous les mercredis ou tous les jeudis.

MONSIEUR JOURDAIN: Est-ce que les gens de qualité en ont?

MAÎTRE DE MUSIQUE: Oui, Monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN: J'en aurai donc. Cela sera-t-il beau?

MAÎTRE DE MUSIQUE: Sans doute. Il vous faudra trois voix: un
dessus, une haute-contre, et une basse, qui seront
accompagnées d'une basse de viole, d'un théorbe, et d'un
clavecin pour les basses continues, avec deux dessus de violon
pour jouer les ritornelles.

MONSIEUR JOURDAIN: Il y faudra mettre aussi une trompette marine.
La trompette marine est un instrument qui me plaît, et qui est
harmonieux.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Laissez-nous gouverner les choses.

MONSIEUR JOURDAIN: Au moins n'oubliez pas tantôt de m'envoyer
des musiciens, pour chanter à table.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous aurez tout ce qu'il vous faut.

MONSIEUR JOURDAIN: Mais surtout, que le ballet soit beau.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous en serez content, et, entre autres
choses, de certains menuets que vous y verrez.

MONSIEUR JOURDAIN: Ah! les menuets sont ma danse, et je veux que
vous me les voyiez danser. Allons, mon maître.

MAÎTRE à DANSER: Un chapeau, Monsieur, s'il vous plaît.
La, la, la; la, la, la, la, la, la; la, la, la, bis; la, la, la;
la, la. En cadence, s'il vous plaît. La, la, la, la. La jambe
droite. La, la, la. Ne remuez point tant les épaules. La, la,
la, la, la; la, la, la, la, la. Vos deux bras sont estropiés.
La, la, la, la, la. Haussez la tête. Tournez la pointe du pied
en dehors. La, la, la. Dressez votre corps.

MONSIEUR JOURDAIN: Euh?

MAÎTRE DE MUSIQUE: Voilà qui est le mieux du monde.

MONSIEUR JOURDAIN: à propos. Apprenez-moi comme il faut faire
une révérence pour saluer une marquise: j'en aurai besoin
tantôt.

MAÎTRE à DANSER: Une révérence pour saluer une marquise?

MONSIEUR JOURDAIN: Oui: une marquise qui s'appelle Dorimène.

MAÎTRE à DANSER: Donnez-moi la main.

MONSIEUR JOURDAIN: Non. Vous n'avez qu'à faire: je le retiendrai bien.

MAÎTRE à DANSER: Si vous voulez la saluer avec beaucoup de
respect, il faut faire d'abord une révérence en arrière,
puis marcher vers elle avec trois révérences en avant, et
à la dernière vous baisser jusqu'à ses genoux.

MONSIEUR JOURDAIN: Faites un peu. Bon.

PREMIER LAQUAIS: Monsieur, voilà votre maître d'armes qui
est là.

MONSIEUR JOURDAIN: Dis-lui qu'il entre ici pour me donner
leçon. Je veux que vous me voyiez faire.

acte I – Scène 2

Scène
II

MONSIEUR JOURDAIN, DEUX LAQUAIS, MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE
à DANSER, VIOLONS, MUSICIENS ET DANSEURS.

MONSIEUR
JOURDAIN: Hé bien, Messieurs? Qu'est-ce? me ferez-vous voir
votre petite drôlerie?

MAÎTRE à DANSER:
Comment? quelle petite drôlerie?

MONSIEUR JOURDAIN: Eh
la. comment appelez-vous cela? Votre prologue ou dialogue de chansons
et de danse.

MAÎTRE à DANSER: Ah, ah!

MAÎTRE
DE MUSIQUE: Vous nous y voyez préparés.

MONSIEUR
JOURDAIN: Je vous ai fait un peu attendre, mais c'est que je me fais
habiller aujourd'hui comme les gens de qualité; et mon
tailleur m'a envoyé des bas de soie que j'ai pensé ne
mettre jamais.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Nous ne sommes ici que
pour attendre votre loisir.

MONSIEUR JOURDAIN: Je vous prie
tous deux de ne vous point en aller, qu'on ne m'ait apporté
mon habit, afin que vous me puissiez voir.

MAÎTRE à
DANSER: Tout ce qu'il vous plaira.

MONSIEUR JOURDAIN: Vous me
verrez équipé comme il faut, depuis les pieds jusqu'à
la tête.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Nous n'en doutons
point.

MONSIEUR JOURDAIN: Je me suis fait faire cette
indienne-ci.

MAÎTRE à DANSER: Elle est fort
belle.

MONSIEUR JOURDAIN: Mon tailleur m'a dit que les gens de
qualité étaient comme cela le matin.

MAÎTRE
DE MUSIQUE: Cela vous sied à merveille.

MONSIEUR
JOURDAIN: Laquais! holà, mes deux laquais!

PREMIER
LAQUAIS: Que voulez-vous, Monsieur?

MONSIEUR JOURDAIN: Rien.
C'est pour voir si vous m'entendez bien. (Aux deux maîtres.)
Que dites-vous de mes livrées?

MAÎTRE à
DANSER: Elles sont magnifiques.

MONSIEUR JOURDAIN. Il
entr'ouvre sa robe, et fait voir un haut-de-chausses étroit de
velours rouge, et une camisole de velours vert, dont il est vêtu:
Voici encore un petit déshabillé pour faire le matin
mes exercices.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Il est
galant.

MONSIEUR JOURDAIN: Laquais!

PREMIER LAQUAIS:
Monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN: L'autre laquais!

SECOND
LAQUAIS: Monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN: Tenez ma robe. Me
trouvez-vous bien comme cela?

MAÎTRE à DANSER:
Fort bien. On ne peut pas mieux.

MONSIEUR JOURDAIN: Voyons un
peu votre affaire.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Je voudrais bien
auparavant vous faire entendre un air qu'il vient de composer pour la
sérénade que vous m'avez demandée. C'est un de
mes écoliers, qui a pour ces sortes de choses un talent
admirable.

MONSIEUR JOURDAIN: Oui, mais il ne fallait pas
faire faire cela par un écolier, et vous n'étiez pas
trop bon vous-même pour cette besogne-là.

MAÎTRE
DE MUSIQUE: Il ne faut pas, Monsieur, que le nom d'écolier
vous abuse. Ces sortes d'écoliers en savent autant que les
plus grands maîtres, et l'air est aussi beau qu'il s'en puisse
faire. Écoutez seulement.

MONSIEUR JOURDAIN: Donnez-moi
ma robe pour mieux entendre. Attendez, je crois que je serai mieux
sans robe. Non; redonnez-la-moi, cela ira mieux.

MUSICIEN,
chantant:

Je languis nuit et jour, et mon mal est
extrême,
Depuis qu'à vos rigueurs vos beaux yeux
m'ont soumis;
Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous
aime,
Hélas! que pourriez-vous faire à vos
ennemis?

MONSIEUR JOURDAIN: Cette chanson me semble un peu
lugubre, elle endort; je voudrais que vous la pussiez un peu
ragaillardir par-ci, par-là.

MAÎTRE DE MUSIQUE:
Il faut, Monsieur, que l'air soit accommodé aux
paroles.

MONSIEUR JOURDAIN: On m'en apprit un tout à
fait joli, il y a quelque temps. Attendez. Là. comment est-ce
qu'il dit?

MAÎTRE à DANSER: Par ma foi! je ne
sais.

MONSIEUR JOURDAIN: Il y a du mouton dedans.

MAÎTRE
à DANSER: Du mouton?

MONSIEUR JOURDAIN: Oui.
Ah!
Monsieur Jourdain chante.

Je croyais Janneton
Aussi
douce que belle,
Je croyais Janneton
Plus douce qu'un
mouton:
Hélas! hélas! elle est cent fois,
Mille
fois plus cruelle,
Que n'est le tigre aux bois.

N'est-il
pas joli?

MAÎTRE DE MUSIQUE: Le plus joli du
monde.

MAÎTRE à DANSER: Et vous le chantez
bien.

MONSIEUR JOURDAIN: C'est sans avoir appris la
musique.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous devriez l'apprendre,
Monsieur, comme vous faites la danse. Ce sont deux arts qui ont une
étroite liaison ensemble.

MAÎTRE à DANSER:
Et qui ouvrent l'esprit d'un homme aux belles choses.

MONSIEUR
JOURDAIN: Est-ce que les gens de qualité apprennent aussi la
musique?

MAÎTRE DE MUSIQUE: Oui, Monsieur.

MONSIEUR
JOURDAIN: Je l'apprendrai donc. Mais je ne sais quel temps je pourrai
prendre; car, outre le Maître d'armes qui me montre, j'ai
arrêté encore un Maître de philosophie, qui doit
commencer ce matin.

MAÎTRE DE MUSIQUE: La philosophie
est quelque chose; mais la musique, Monsieur, la musique.

MAÎTRE
à DANSER: La musique et la danse. La musique et la danse,
c'est là tout ce qu'il faut.

MAÎTRE DE MUSIQUE:
Il n'y a rien qui soit si utile dans un état que la
musique.

MAÎTRE à DANSER: Il n'y a rien qui soit
si nécessaire aux hommes que la danse.

MAÎTRE DE
MUSIQUE: Sans la musique, un état ne peut subsister.

MAÎTRE
à DANSER: Sans la danse, un homme ne saurait rien
faire.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Tous les désordres,
toutes les guerres qu'on voit dans le monde, n'arrivent que pour
n'apprendre pas la musique.

MAÎTRE à DANSER: Tous
les malheurs des hommes, tous les revers funestes dont les histoires
sont remplies, les bévues des politiques, et les manquements
des grands capitaines, tout cela n'est venu que faute de savoir
danser.

MONSIEUR JOURDAIN: Comment cela?

MAÎTRE
DE MUSIQUE: La guerre ne vient-elle pas d'un manque d'union entre les
hommes?

MONSIEUR JOURDAIN: Cela est vrai.

MAÎTRE
DE MUSIQUE: Et si tous les hommes apprenaient la musique, ne
serait-ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de voir dans le
monde la paix universelle?

MONSIEUR JOURDAIN: Vous avez
raison.

MAÎTRE à DANSER: Lorsqu'un homme a commis
un manquement dans sa conduite, soit aux affaires de sa famille, ou
au gouvernement d'un état, ou au commandement d'une armée,
ne dit-on pas toujours: "Un tel a fait un mauvais pas dans une
telle affaire"?

MONSIEUR JOURDAIN: Oui, on dit
cela.

MAÎTRE à DANSER: Et faire un mauvais pas
peut-il procéder d'autre chose que de ne savoir pas
danser?

MONSIEUR JOURDAIN: Cela est vrai, vous avez raison
tous deux.

MAÎTRE à DANSER: C'est pour vous faire
voir l'excellence et l'utilité de la danse et de la
musique.

MONSIEUR JOURDAIN: Je comprends cela à cette
heure.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Voulez-vous voir nos deux
affaires?

MONSIEUR JOURDAIN: Oui.

MAÎTRE DE
MUSIQUE: Je vous l'ai déjà dit, c'est un petit essai
que j'ai fait autrefois des diverses passions que peut exprimer la
musique.

MONSIEUR JOURDAIN: Fort bien.

MAÎTRE DE
MUSIQUE: Allons, avancez. Il faut vous figurer qu'ils sont habillés
en bergers.

MONSIEUR JOURDAIN: Pourquoi toujours des bergers?
On ne voit que cela partout.

MAÎTRE à DANSER:
Lorsqu'on a des personnes à faire parler en musique, il faut
bien que, pour la vraisemblance, on donne dans la bergerie. Le chant
a été de tout temps affecté aux bergers; et il
n'est guère naturel en dialogue que des princes ou des
bourgeois chantent leurs passions.

MONSIEUR JOURDAIN: Passe,
passe. Voyons.

DIALOGUE EN MUSIQUE

UNE MUSICIENNE ET
DEUX MUSICIENS

Un cœur, dans l'amoureux empire,
De mille
soins est toujours agité:
On dit qu'avec plaisir on
languit, on soupire;
Mais, quoi qu'on puisse dire,
Il n'est
rien de si doux que notre liberté.

PREMIER MUSICIEN

Il
n'est rien de si doux que les tendres ardeurs
Qui font vivre deux
cours
Dans une même envie.
On ne peut être heureux
sans amoureux désirs:
ôtez l'amour de la vie,
Vous
en ôtez les plaisirs.

SECOND MUSICIEN

Il serait
doux d'entrer sous l'amoureuse loi,
Si l'on trouvait en amour de
la foi;
Mais, hélas! Ô rigueur cruelle!
On ne voit
point de bergère fidèle,
Et ce sexe inconstant, trop
indigne du jour,
Doit faire pour jamais renoncer à
l'amour.

PREMIER MUSICIEN

Aimable
ardeur,

MUSICIENNE

Franchise heureuse,

SECOND
MUSICIEN

Sexe trompeur,

PREMIER MUSICIEN

Que tu
m'es précieuse!

MUSICIENNE

Que tu plais à
mon cœur!

SECOND MUSICIEN

Que tu me fais
d'horreur!

PREMIER MUSICIEN

Ah! quitte pour aimer cette
haine mortelle.

MUSICIENNE

On peut, on peut te
montrer
Une bergère fidèle.

SECOND
MUSICIEN

Hélas! où la
rencontrer?

MUSICIENNE

Pour défendre notre
gloire,
Je te veux offrir mon cœur.

SECOND MUSICIEN

Mais,
bergère, puis-je croire
Qu'il ne sera point
trompeur?

MUSICIENNE

Voyez par expérience
Qui
des deux aimera mieux.

SECOND MUSICIEN

Qui manquera de
constance,
Le puissent perdre les Dieux!

TOUS TROIS

À
des ardeurs si belles
Laissons-nous enflammer:
Ah! qu'il est
doux d'aimer,
Quand deux cours sont fidèles!

MONSIEUR
JOURDAIN: Est-ce tout?

MAÎTRE DE MUSIQUE: Oui.

MONSIEUR
JOURDAIN: Je trouve cela bien troussé, et il y a là
dedans de petits dictons assez jolis.

MAÎTRE à
DANSER: Voici, pour mon affaire, un petit essai des plus beaux
mouvements et des plus belles attitudes dont une danse puisse être
variée.

MONSIEUR JOURDAIN: Sont-ce encore des
bergers?

MAÎTRE à DANSER: C'est ce qu'il vous
plaira. Allons.

Quatre danseurs exécutent tous les
mouvements différents et toutes les sortes de pas que le
Maître à danser leur commande, et cette danse fait le
premier

acte I – Scène I

LE BOURGEOIS
GENTILHOMME

Comédie
– Ballet

ACTEURS

  • MONSIEUR JOURDAN, bourgeois

  • MADAME JOURDAN, sa femme

  • LUCILE, fille de M Jourdan

  • NICOLE, servante

  • CLÉONTE, amoureux de Lucile

  • COVIELLE, valet de Cléonte

  • DORANTE, comte, amant de Dorimène

  • DORIMÈNE, marquise

  • MAÎTRE DE MUSIQUE

  • ÉLÈVE DU MAÎTRE DE MUSIQUE

  • MAÎTRE À DANSER

  • MAÎTRE D'ARMES

  • MAÎTRE DE PHILOSOPHIE

  • MAÎTRE TAILLEUR

  • GARÇON TAILLEUR

  • DEUX LAQUAIS

  • PLUSIEURS MUSICIENS, MUSICIENNES, JOUEURS D'INSTRUMENTS, DANSEURS,
    CUISINIERS, GARÇONS TAILLEURS, ET AUTRES PERSONNAGES DES
    INTERMÈDES ET DU BALLET.

  1. Jourdain, un bourgeois très sot, veut acquérir
    l'apparence et les manières des aristocrates. Pour cela, il
    se fait faire un costume plus approprié à sa nouvelle
    condition de gentilhomme, et décide d'apprendre le maniements
    des armes, la danse, la philosophie, etc. Il s'entoure donc de
    professeurs et de conseillers. Ceux-ci se moquent de lui, et le
    trompent pour atteindre leurs propres objectifs alors que lui est
    persuadé d'être accepté par des membres de la
    plus haute noblesse.

ACTE
I

Scène
Première

MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE à DANSER, TROIS
MUSICIENS, DEUX VIOLONS, QUATRE DANSEURS.

MAÎTRE DE
MUSIQUE, parlant à ses musiciens: Venez, entrez dans cette
salle, et vous reposez là, en attendant qu'il vienne.

MAÎTRE
à DANSER, parlant aux danseurs: Et vous aussi, de ce
côté.

MAÎTRE DE MUSIQUE, à l'Élève:
Est-ce fait?

L'ÉLÈVE: Oui.

MAÎTRE
DE MUSIQUE: Voyons. Voilà qui est bien.

MAÎTRE à
DANSER: Est-ce quelque chose de nouveau?

MAÎTRE DE
MUSIQUE: Oui, c'est un air pour une sérénade, que je
lui ai fait composer ici, en attendant que notre homme fût
éveillé.

MAÎTRE à DANSER: Peut-on
voir ce que c'est?

MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous l'allez
entendre, avec le dialogue, quand il viendra. Il ne tardera
guère.

MAÎTRE à DANSER: Nos occupations, à
vous, et à moi, ne sont pas petites maintenant.

MAÎTRE
DE MUSIQUE: Il est vrai. Nous avons trouvé ici un homme comme
il nous le faut à tous deux; ce nous est une douce rente que
ce Monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie
qu'il est allé se mettre en tête; et votre danse et ma
musique auraient à souhaiter que tout le monde lui
ressemblât.

MAÎTRE à DANSER: Non pas
entièrement; et je voudrais pour lui qu'il se connût
mieux qu'il ne fait aux choses que nous lui donnons.

MAÎTRE
DE MUSIQUE: Il est vrai qu'il les connaît mal, mais il les paye
bien; et c'est de quoi maintenant nos arts ont plus besoin que de
toute autre chose.

MAÎTRE à DANSER: Pour moi, je
vous l'avoue, je me repais un peu de gloire; les applaudissements me
touchent; et je tiens que, dans tous les beaux arts, c'est un
supplice assez fâcheux que de se produire à des sots,
que d'essuyer sur des compositions la barbarie d'un stupide. Il y a
plaisir, ne m'en parlez point, à travailler pour des personnes
qui soient capables de sentir les délicatesses d'un art, qui
sachent faire un doux accueil aux beautés d'un ouvrage, et par
de chatouillantes approbations vous régaler de votre travail.
Oui, la récompense la plus agréable qu'on puisse
recevoir des choses que l'on fait, c'est de les voir connues, de les
voir caressées d'un applaudissement qui vous honore. Il n'y a
rien, à mon avis, qui nous paye mieux que cela de toutes nos
fatigues; et ce sont des douceurs exquises que des louanges
éclairées.

MAÎTRE DE MUSIQUE: J'en demeure
d'accord, et je les goûte comme vous. Il n'y a rien assurément
qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites.
Mais cet encens ne fait pas vivre; des louanges toutes pures ne
mettent point un homme à son aise: il y faut mêler du
solide; et la meilleure façon de louer, c'est de louer avec
les mains. C'est un homme, à la vérité, dont les
lumières sont petites, qui parle à tort et à
travers de toutes choses, et n'applaudit qu'à contre-sens;
mais son argent redresse les jugements de son esprit; il a du
discernement dans sa bourse; ses louanges sont monnayées; et
ce bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand
seigneur éclairé qui nous a introduits ici.

MAÎTRE
à DANSER: Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites;
mais je trouve que vous appuyez un peu trop sur l'argent; et
l'intérêt est quelque chose de si bas, qu'il ne faut
jamais qu'un honnête homme montre pour lui de
l'attachement.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous recevez fort bien
pourtant l'argent que notre homme vous donne.

MAÎTRE à
DANSER: Assurément; mais je n'en fais pas tout mon bonheur, et
je voudrais qu'avec son bien, il eût encore quelque bon goût
des choses.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Je le voudrais aussi, et
c'est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous
pouvons. Mais, en tout cas, il nous donne moyen de nous faire
connaître dans le monde; et il payera pour les autres ce que
les autres loueront pour lui.

MAÎTRE à DANSER: Le
voilà qui vient