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Autor: juanavictoria77

acte III – Scène 8

CLÉONTE, COVIELLE,
NICOLE.

NICOLE: Ah! vous voilà tout à propos. Je suis une
ambassadrice de joie, et je viens.

CLÉONTE: Retire-toi, perfide, et ne me viens point amuser avec
tes traîtresses paroles.

NICOLE: Est-ce ainsi que vous recevez.?

CLÉONTE: Retire-toi, te dis-je, et va-t'en dire de ce pas à
ton infidèle maîtresse qu'elle n'abusera de sa vie le trop
simple Cléonte.

NICOLE: Quel vertigo est-ce donc là? Mon pauvre Covielle,
dis-moi un peu ce que cela veut dire.

COVIELLE: Ton pauvre Covielle, petite scélérate! Allons
vite, ôte-toi de mes yeux, vilaine, et me laisse en repos.

NICOLE: Quoi? tu me viens aussi.

COVIELLE: ôte-toi de mes yeux, te dis-je, et ne me parle de ta vie.

NICOLE: Ouais! Quelle mouche les a piqués tous deux? Allons de
cette belle histoire informer ma maîtresse.

acte III – Scène 7

MADAME JOURDAIN, NICOLE.

NICOLE: Ma foi! Madame, la curiosité m'a coûté quelque
chose; mais je crois qu'il y a quelque anguille sous roche, et
ils parlent de quelque affaire où ils ne veulent pas que vous soyez.

MADAME JOURDAIN: Ce n'est pas d'aujourd'hui, Nicole, que j'ai
conçu des soupçons de mon mari. Je suis la plus trompée
du monde, ou il y a quelque amour en campagne, et je travaille
à découvrir ce que ce peut être. Mais songeons à ma
fille. Tu sais l'amour que Cléonte a pour elle. C'est un homme
qui me revient, et je veux aider sa recherche, et lui donner
Lucile, si je puis.

NICOLE: En vérité, Madame, je suis la plus ravie du monde
de vous voir dans ces sentiments; car, si le maître vous
revient, le valet ne me revient pas moins, et je souhaiterais que
notre mariage se pût faire à l'ombre du leur.

MADAME JOURDAIN: Va-t'en lui en parler de ma part, et lui dire
que tout à l'heure il me vienne trouver, pour faire ensemble
à mon mari la demande de ma fille.

NICOLE: J'y cours, Madame, avec joie, et je ne pouvais recevoir
une commission plus agréable. Je vais, je pense, bien
réjouir les gens.

acte III – Scène 6

MONSIEUR JOURDAIN, MADAME JOURDAIN, DORANTE, NICOLE.

MONSIEUR JOURDAIN: Voilà deux cents louis bien comptés.

DORANTE: Je vous assure, Monsieur Jourdain, que je suis tout à
vous, et que je brûle de vous rendre un service à la cour.

MONSIEUR JOURDAIN: Je vous suis trop obligé.

DORANTE: Si Madame Jourdain veut voir le divertissement royal, Je
lui ferai donner les meilleures places de la salle.

MADAME JOURDAIN: Madame Jourdain vous baise les mains.

DORANTE, bas à M. Jourdain: Notre belle marquise, comme je
vous ai mandé par mon billet, viendra tantôt ici pour le
ballet et le repas; je l'ai fait consentir enfin au régale que
vous lui voulez donner.

MONSIEUR JOURDAIN: Tirons-nous un peu plus loin, pour cause.

DORANTE: Il y a huit jours que je ne vous ai vu, et je ne vous ai
point mandé de nouvelles du diamant que vous me mîtes entre
les mains pour lui en faire présent de votre part; mais c'est
que j'ai eu toutes les peines du monde à vaincre son scrupule,
et ce n'est que d'aujourd'hui qu'elle s'est résolue à l'accepter.

MONSIEUR JOURDAIN: Comment l'a-t-elle trouvé?

DORANTE: Merveilleux; et je me trompe fort, ou la beauté de ce
diamant fera pour vous sur son esprit un effet admirable.

MONSIEUR JOURDAIN: Plût au Ciel!

MADAME JOURDAIN: Quand il est une fois avec lui, il ne peut le quitter.

DORANTE: Je lui ai fait valoir comme il faut la richesse de ce
présent et la grandeur de votre amour.

MONSIEUR JOURDAIN: Ce sont, Monsieur, des bontés qui
m'accablent; et je suis dans une confusion la plus grande du
monde, de voir une personne de votre qualité s'abaisser pour
moi à ce que vous faites.

DORANTE: Vous moquez-vous? est-ce qu'entre amis on s'arrête
à ces sortes de scrupules? et ne feriez-vous pas pour moi la
même chose, si l'occasion s'en offrait?

MONSIEUR JOURDAIN: Ho! assurément, et de très grand cœur.

MADAME JOURDAIN: Que sa présence me pèse sur les épaules!

DORANTE: Pour moi, je ne regarde rien, quand il faut servir un
ami; et lorsque vous me fîtes confidence de l'ardeur que vous
aviez prise pour cette marquise agréable chez qui j'avais
commerce, vous vîtes que d'abord je m'offris de moi-même
à servir votre amour.

MONSIEUR JOURDAIN: Il est vrai, ce sont des bontés qui me confondent.

MADAME JOURDAIN: Est-ce qu'il ne s'en ira point?

NICOLE: Ils se trouvent bien ensemble.

DORANTE: Vous avez pris le bon biais pour toucher son cœur: les
femmes aiment surtout les dépenses qu'on fait pour elles; et
vos fréquentes sérénades, et vos bouquets continuels, ce
superbe feu d'artifice qu'elle trouva sur l'eau, le diamant
qu'elle a reçu de votre part, et le régale que vous lui
préparez, tout cela lui parle bien mieux en faveur de votre
amour que toutes les paroles que vous auriez pu lui dire vous-même.

MONSIEUR JOURDAIN: Il n'y a point de dépenses que je ne fisse,
si par là je pouvais trouver le chemin de son cœur. Une femme
de qualité a pour moi des charmes ravissants, et c'est un
honneur que j'achèterais au prix de toute chose.

MADAME JOURDAIN: Que peuvent-ils tant dire ensemble? Va-t'en un
peu tout doucement prêter l'oreille.

DORANTE: Ce sera tantôt que vous jouirez à votre aise du
plaisir de sa vue, et vos yeux auront tout le temps de se satisfaire.

MONSIEUR JOURDAIN: Pour être en pleine liberté, j'ai fait
en sorte que ma femme ira dîner chez ma sœur, où elle
passera toute l'après-dînée.

DORANTE: Vous avez fait prudemment, et votre femme aurait pu nous
embarrasser. J'ai donné pour vous l'ordre qu'il faut au
cuisinier, et à toutes les choses qui sont nécessaires pour
le ballet. Il est de mon invention; et pourvu que l'exécution
puisse répondre à l'idée, je suis sûr qu'il sera
trouvé.

MONSIEUR JOURDAIN s'aperçoit que Nicole écoute, et lui
donne un soufflet: Ouais, vous êtes bien impertinente.
Sortons, s'il vous plaît.

acte III – Scène 5

DORANTE, MADAME JOURDAIN, NICOLE.

DORANTE: Vous me semblez toute mélancolique: qu'avez-vous,
Madame Jourdain?

MADAME JOURDAIN: J'ai la tête plus grosse que le poing, et si
elle n'est pas enflée.

DORANTE: Mademoiselle votre fille, où est-elle, que je ne la
vois point?

MADAME JOURDAIN: Mademoiselle ma fille est bien où elle est.

DORANTE: Comment se porte-t-elle?

MADAME JOURDAIN: Elle se porte sur ses deux jambes.

DORANTE: Ne voulez-vous point un de ces jours venir voir, avec
elle, le ballet et la comédie que l'on fait chez le Roi?

MADAME JOURDAIN: Oui vraiment, nous avons fort envie de rire,
fort envie de rire nous avons.

DORANTE: Je pense, Madame Jourdain, que vous avez eu bien des
amants dans votre jeune âge, belle et d'agréable humeur
comme vous étiez.

MADAME JOURDAIN: Trédame, Monsieur, est-ce que Madame Jourdain
est décrépite, et la tête lui grouille-t-elle déjà?

DORANTE: Ah, ma foi! Madame Jourdain, je vous demande pardon. Je
ne songeais pas que vous êtes jeune, et je rêve le plus
souvent. Je vous prie d'excuser mon impertinence.

acte III – Scène 4

DORANTE, MONSIEUR JOURDAIN,
MADAME JOURDAIN, NICOLE.

DORANTE: Mon cher ami, Monsieur Jourdain,
comment vous portez-vous?

MONSIEUR JOURDAIN: Fort bien, Monsieur, pour
vous rendre mes petits services.

DORANTE: Et Madame Jourdain que voilà, comment se porte-t-elle?

MADAME JOURDAIN: Madame Jourdain se porte comme elle peut.

DORANTE: Comment, Monsieur Jourdain? vous voilà le plus propre du monde!

MONSIEUR JOURDAIN: Vous voyez.

DORANTE: Vous avez tout à fait bon air avec cet habit, et nous
n'avons point de jeunes gens à la cour qui soient mieux faits que vous.

MONSIEUR JOURDAIN: Hay, hay.

MADAME JOURDAIN: Il le gratte par où il se démange.

DORANTE: Tournez-vous. Cela est tout à fait galant.

MADAME JOURDAIN: Oui, aussi sot par derrière que par devant.

DORANTE: Ma foi! Monsieur Jourdain, j'avais une impatience
étrange de vous voir. Vous êtes l'homme du monde que
j'estime le plus, et je parlais de vous encore ce matin dans la
chambre du Roi.

MONSIEUR JOURDAIN: Vous me faites beaucoup d'honneur, Monsieur.
(à Madame Jourdain.) Dans la chambre du Roi!

DORANTE: Allons, mettez.

MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur, je sais le respect que je vous dois.

DORANTE: Mon Dieu! mettez: point de cérémonie entre nous,
je vous prie.

MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur.

DORANTE: Mettez, vous dis-je, Monsieur Jourdain: vous êtes mon ami.

MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur, je suis votre serviteur.

DORANTE: Je ne me couvrirai point, si vous ne vous couvrez.

MONSIEUR JOURDAIN: J'aime mieux être incivil qu'importun.

DORANTE: Je suis votre débiteur, comme vous le savez.

MADAME JOURDAIN: Oui, nous ne le savons que trop.

DORANTE: Vous m'avez généreusement prêté de l'argent
en plusieurs occasions, et m'avez obligé de la meilleure
grâce du monde, assurément.

MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur, vous vous moquez.

DORANTE: Mais je sais rendre ce qu'on me prête, et
reconnaître les plaisirs qu'on me fait.

MONSIEUR JOURDAIN: Je n'en doute point, Monsieur.

DORANTE: Je veux sortir d'affaire avec vous, et je viens ici pour
faire nos comptes ensemble.

MONSIEUR JOURDAIN: Hé bien! vous voyez votre impertinence, ma femme.

DORANTE: Je suis homme qui aime à m'acquitter le plus tôt
que je puis.

MONSIEUR JOURDAIN: Je vous le disais bien.

DORANTE: Voyons un peu ce que je vous dois.

MONSIEUR JOURDAIN: Vous voilà, avec vos soupçons ridicules.

DORANTE: Vous souvenez-vous bien de tout l'argent que vous m'avez
prêté?

MONSIEUR JOURDAIN: Je crois que oui. J'en ai fait un petit
mémoire. Le voici. Donné à vous une fois deux cents louis.

DORANTE: Cela est vrai.

MONSIEUR JOURDAIN: Une autre fois, six-vingts.

DORANTE: Oui.

MONSIEUR JOURDAIN: Et une autre fois, cent quarante.

DORANTE: Vous avez raison.

MONSIEUR JOURDAIN: Ces trois articles font quatre cent soixante
louis, qui valent cinq mille soixante livres.

DORANTE: Le compte est fort bon. Cinq mille soixante livres.

MONSIEUR JOURDAIN: Mille huit cent trente-deux livres à votre
plumassier.

DORANTE: Justement.

MONSIEUR JOURDAIN: Deux mille sept cent quatre-vingts livres à
votre tailleur.

DORANTE: Il est vrai.

MONSIEUR JOURDAIN: Quatre mille trois cent septante-neuf livres
douze sols huit deniers à votre marchand.

DORANTE: Fort bien. Douze sols huit deniers: le compte est juste.

MONSIEUR JOURDAIN: Et mille sept cent quarante-huit livres sept
sols quatre deniers à votre sellier.

DORANTE: Tout cela est véritable. Qu'est-ce que cela fait?

MONSIEUR JOURDAIN: Somme totale, quinze mille huit cents livres.

DORANTE: Somme totale est juste: quinze mille huit cents livres.
Mettez encore deux cents pistoles que vous m'allez donner, cela
fera justement dix-huit mille francs, que je vous payerai au
premier jour.

MADAME JOURDAIN: Hé bien! ne l'avais-je pas bien
deviné?

MONSIEUR JOURDAIN: Paix!

DORANTE: Cela vous incommodera-t-il, de me donner ce que je vous dis?

MONSIEUR JOURDAIN: Eh non!

MADAME JOURDAIN: Cet homme-là fait de vous une vache à lait.

MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous.

DORANTE: Si cela vous incommode, j'en irai chercher ailleurs.

MONSIEUR JOURDAIN: Non, Monsieur.

MADAME JOURDAIN: Il ne sera pas content, qu'il ne vous ait ruiné.

MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous, vous dis-je.

DORANTE: Vous n'avez qu'à me dire si cela vous embarrasse.

MONSIEUR JOURDAIN: Point, Monsieur.

MADAME JOURDAIN: C'est un vrai enjôleux.

MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous donc.

MADAME JOURDAIN: Il vous sucera jusqu'au dernier sou.

MONSIEUR JOURDAIN: Vous tairez-vous?

DORANTE: J'ai force gens qui m'en prêteraient avec joie; mais
comme vous êtes mon meilleur ami, j'ai cru que je vous ferais
tort si j'en demandais à quelque autre.

MONSIEUR JOURDAIN: C'est trop d'honneur, Monsieur, que vous me
faites. Je vais quérir votre affaire.

MADAME JOURDAIN: Quoi? vous allez encore lui donner cela?

MONSIEUR JOURDAIN: Que faire? voulez-vous que je refuse un homme
de cette condition-là, qui a parlé de moi ce matin dans la chambre
du Roi?

MADAME JOURDAIN: Allez, vous êtes une vraie dupe.