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Autor: juanavictoria77

acte III – Scène 1

MONSIEUR JOURDAIN et ses deux LAQUAIS.

MONSIEUR JOURDAIN: Suivez-moi, que j'aille un peu montrer mon
habit par la ville; et surtout ayez soin tous deux de marcher
immédiatement sur mes pas, afin qu'on voie bien que vous
êtes à moi.

LAQUAIS: Oui, Monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN: Appelez-moi Nicole, que je lui donne quelques
ordres. Ne bougez, la voilà.

acte II – Scène 5

MAÎTRE TAILLEUR, GARÇON
TAILLEUR, portant l'habit de M. Jourdain, MONSIEUR JOURDAIN, LAQUAIS.

MONSIEUR JOURDAIN: Ah vous voilà! je m'allais mettre en colère
contre vous.

MAÎTRE TAILLEUR: Je n'ai pas pu venir plus tôt, et j'ai mis
vingt garçons après votre habit.

MONSIEUR JOURDAIN: Vous m'avez envoyé des bas de soie si
étroits, que j'ai eu toutes les peines du monde à les
mettre, et il y a deux mailles de rompues.

MAÎTRE TAILLEUR: Ils ne s'élargiront que trop.

MONSIEUR JOURDAIN: Oui, si je romps toujours des mailles. Vous
m'avez aussi fait faire des souliers qui me blessent furieusement.

MAÎTRE TAILLEUR: Point du tout, Monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN: Comment, point du tout?

MAÎTRE TAILLEUR: Non, ils ne vous blessent point.

MONSIEUR JOURDAIN: Je vous dis qu'ils me blessent, moi.

MAÎTRE TAILLEUR: Vous vous imaginez cela.

MONSIEUR JOURDAIN: Je me l'imagine, parce que je le sens. Voyez
la belle raison!

MAÎTRE TAILLEUR: Tenez, voilà le plus bel habit de la cour,
et le mieux assorti. C'est un chef-d'œuvre que d'avoir
inventé un habit sérieux qui ne fût pas noir; et je le
donne en six coups aux tailleurs les plus éclairés.

MONSIEUR JOURDAIN: Qu'est-ce que c'est que ceci? Vous avez mis
les fleurs en enbas.

MAÎTRE TAILLEUR: Vous ne m'aviez pas dit que vous les vouliez
en enhaut.

MONSIEUR JOURDAIN: Est-ce qu'il faut dire cela?

MAÎTRE TAILLEUR: Oui, vraiment. Toutes les personnes de
qualité les portent de la sorte.

MONSIEUR JOURDAIN: Les personnes de qualité portent les fleurs en enbas?

MAÎTRE TAILLEUR: Oui, Monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN: Oh! voilà qui est donc bien.

MAÎTRE TAILLEUR: Si vous voulez, je les mettrai en enhaut.

MONSIEUR JOURDAIN: Non, non.

MAÎTRE TAILLEUR: Vous n'avez qu'à dire.

MONSIEUR JOURDAIN: Non, vous dis-je; vous avez bien fait.
Croyez-vous que mon habit m'aille bien?

MAÎTRE TAILLEUR: Belle demande! Je défie un peintre, avec
son pinceau, de vous faire rien de plus juste. J'ai chez moi un
garçon qui, pour monter une rhingrave, est le plus grand
génie du monde; et un autre qui, pour assembler un pourpoint,
est le héros de notre temps.

MONSIEUR JOURDAIN: La perruque, et les plumes sont-elles comme il faut?

MAÎTRE TAILLEUR: Tout est bien.

MONSIEUR JOURDAIN, en regardant l'habit du tailleur: Ah, ah!
Monsieur le tailleur, voilà de mon étoffe du dernier habit
que vous m'avez fait. Je la reconnais bien.

MAÎTRE TAILLEUR: C'est que l'étoffe me sembla si belle, que
j'en ai voulu lever un habit pour moi.

MONSIEUR JOURDAIN: Oui, mais il ne fallait pas le lever avec le mien.

MAÎTRE TAILLEUR: Voulez-vous mettre votre habit?

MONSIEUR JOURDAIN: Oui, donnez-le-moi.

MAÎTRE TAILLEUR: Attendez. Cela ne va pas comme cela. J'ai
amené des gens pour vous habiller en cadence, et ces sortes
d'habits se mettent avec cérémonie. Holà! entrez, vous
autres. Mettez cet habit à Monsieur, de la manière que vous
faites aux personnes de qualité.

Quatre garçons tailleurs entrent, dont deux lui arrachent le
haut-de-chausses de ses exercices, et deux autres la camisole;
puis ils lui mettent son habit neuf; et M. Jourdain se promène
entre eux, et leur montre son habit, pour voir s'il est bien. Le
tout à la cadence de toute la symphonie.

GARÇON TAILLEUR: Mon gentilhomme, donnez, s'il vous plaît,
aux garçons quelque chose pour boire.

MONSIEUR JOURDAIN: Comment m'appelez-vous?

GARÇON TAILLEUR: Mon gentilhomme.

MONSIEUR JOURDAIN: "Mon gentilhomme!" Voilà ce que
c'est de se mettre en personne de qualité. Allez-vous-en
demeurer toujours habillé en bourgeois, on ne vous dira point:
"mon gentilhomme." Tenez, voilà pour "Mon
gentilhomme."

GARÇON TAILLEUR: Monseigneur, nous vous sommes bien obligés.

MONSIEUR JOURDAIN: "Monseigneur" , oh, oh!
"Monseigneur"! Attendez, mon ami:
"Monseigneur" mérite quelque chose, et ce n'est pas
une petite parole que "Monseigneur." Tenez, voilà ce
que Monseigneur vous donne.

GARÇON TAILLEUR: Monseigneur, nous allons boire tous à la
santé de Votre Grandeur.

MONSIEUR JOURDAIN: "Votre Grandeur!" Oh, oh, oh!
Attendez, ne vous en allez pas. à moi "Votre
Grandeur!" Ma foi, s'il va jusqu'à l'Altesse, il aura
toute la bourse. Tenez, voilà pour Ma Grandeur.

GARÇON TAILLEUR: Monseigneur, nous la remercions très
humblement de ses libéralités.

MONSIEUR JOURDAIN: Il a bien fait: je lui allais tout donner.

acte II – Scène 4

MAÎTRE de philosophie,
monsieur Jourdain.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE, en raccommodant son
collet: Venons à notre leçon.

MONSIEUR JOURDAIN: Ah! Monsieur, je suis fâché des coups
qu'ils vous ont donnés.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Cela n'est rien. Un philosophe sait
recevoir comme il faut les choses, et je vais composer contre eux
une satire du style de Juvénal, qui les déchirera de la
belle façon. Laissons cela. Que voulez-vous apprendre?

MONSIEUR JOURDAIN: Tout ce que je pourrai, car j'ai toutes les
envies du monde d'être savant; et j'enrage que mon père et
ma mère ne m'aient pas fait bien étudier dans toutes les
sciences, quand j'étais jeune.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Ce sentiment est raisonnable: nam sine
doctrina vita est quasi mortis imago. Vous entendez cela, et vous
savez le latin sans doute.

MONSIEUR JOURDAIN: Oui, mais faites comme si je ne le savais pas:
expliquez-moi ce que cela veut dire.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Cela veut dire que sans la science, la
vie est presque une image de la mort.

MONSIEUR JOURDAIN: Ce latin-là a raison.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: N'avez-vous point quelques principes,
quelques commencements des sciences?

MONSIEUR JOURDAIN: Oh! oui, je sais lire et écrire.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Par où vous plaît-il que nous
commencions? Voulez-vous que je vous apprenne la logique?

MONSIEUR JOURDAIN: Qu'est-ce que c'est que cette logique?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: C'est elle qui enseigne les trois
opérations de l'esprit.

MONSIEUR JOURDAIN: Qui sont-elles, ces trois opérations de l'esprit?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: La première, la seconde, et la
troisième. La première est de bien concevoir par le moyen
des universaux. La seconde, de bien juger par le moyen des
catégories; et la troisième, de bien tirer une
conséquence par le moyen des figures barbara, celarent, darii,
ferio, baralipton, etc.

MONSIEUR JOURDAIN: Voilà des mots qui sont trop
rébarbatifs. Cette logique-là ne me revient point.
Apprenons autre chose qui soit plus joli.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Voulez-vous apprendre la morale?

MONSIEUR JOURDAIN: La morale?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Oui.

MONSIEUR JOURDAIN: Qu'est-ce qu'elle dit cette morale?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Elle traite de la félicité,
enseigne aux hommes à modérer leurs passions, et…

MONSIEUR JOURDAIN: Non, laissons cela. Je suis bilieux comme tous
les diables; et il n'y a morale qui tienne, je me veux mettre en
colère tout mon soûl, quand il m'en prend envie.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Est-ce la physique que vous voulez apprendre?

MONSIEUR JOURDAIN: Qu'est-ce qu'elle chante cette physique?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: La physique est celle qui explique les
principes des choses naturelles, et les propriétés du
corps; qui discourt de la nature des éléments, des
métaux, des minéraux, des pierres, des plantes et des
animaux, et nous enseigne les causes de tous les météores,
l'arc-en-ciel, les feux volants, les comètes, les éclairs,
le tonnerre, la foudre, la pluie, la neige, la grêle, les
vents et les tourbillons.

MONSIEUR JOURDAIN: Il y a trop de tintamarre là dedans, trop
de brouillamini.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Que voulez-vous donc que je vous apprenne?

MONSIEUR JOURDAIN: Apprenez-moi l'orthographe.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Très volontiers.

MONSIEUR JOURDAIN: Après vous m'apprendrez l'almanach, pour
savoir quand il y a de la lune et quand il n'y en a point.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Soit. Pour bien suivre votre pensée
et traiter cette matière en philosophe, il faut commencer
selon l'ordre des choses, par une exacte connaissance de la
nature des lettres, et de la différente manière de les
prononcer toutes. Et là-dessus j'ai à vous dire que les
lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles parce
qu'elles expriment les voix; et en consonnes, ainsi appelées
consonnes parce qu'elles sonnent avec les voyelles, et ne font
que marquer les diverses articulations des voix. Il y a cinq
voyelles ou voix: a, e, i, o, u.

MONSIEUR JOURDAIN: J'entends tout cela.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: La voix A se forme en ouvrant fort la bouche: A.

MONSIEUR JOURDAIN: A, A. Oui.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: La voix E se forme en rapprochant la
mâchoire d'en bas de celle d'en haut: A, E.

MONSIEUR JOURDAIN: A, E, A, E. Ma foi! oui. Ah! que cela est beau!

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Et la voix I en rapprochant encore
davantage les mâchoires l'une de l'autre, et écartant les
deux coins de la bouche vers les oreilles: A, E, I.

MONSIEUR JOURDAIN: A, e, i, i, i, i. Cela est vrai. Vive la science!

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: La voix o se forme en rouvrant les
mâchoires, et rapprochant les lèvres par les deux coins, le
haut et le bas: o.

MONSIEUR JOURDAIN: O, o. Il n'y a rien de plus juste. A, e, i, o,
i, o. Cela est admirable! I, o, i, o.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: L'ouverture de la bouche fait justement
comme un petit rond qui représente un o.

MONSIEUR JOURDAIN: O, o, o. Vous avez raison, o. Ah! la belle
chose, que de savoir quelque chose!

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: La voix u se forme en rapprochant les
dents sans les joindre entièrement, et allongeant les deux
lèvres en dehors, les approchant aussi l'une de l'autre sans
les rejoindre tout à fait: u.

MONSIEUR JOURDAIN: U, u. Il n'y a rien de plus véritable: u.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Vos deux lèvres s'allongent comme si
vous faisiez la moue: d'où vient que si vous la voulez faire
à quelqu'un, et vous moquer de lui, vous ne sauriez lui dire que: u.

MONSIEUR JOURDAIN: U, u. Cela est vrai. Ah! que n'ai-je
étudié plus tôt, pour savoir tout cela?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Demain, nous verrons les autres
lettres, qui sont les consonnes.

MONSIEUR JOURDAIN: Est-ce qu'il y a des choses aussi curieuses
qu'à celles-ci?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Sans doute. La consonne D, par exemple,
se prononce en donnant du bout de la langue au-dessus des dents
d'en haut: da.

MONSIEUR JOURDAIN: Da, da. Oui. Ah! les belles choses! les belles choses!

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: L'F en appuyant les dents d'en haut sur
la lèvre de dessous: fa.

MONSIEUR JOURDAIN: Fa, fa. C'est la vérité. Ah! mon père
et ma mère, que je vous veux de mal!

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Et l'r, en portant le bout de la langue
jusqu'au haut du palais, de sorte qu'étant frôlée par
l'air qui sort avec force, elle lui cède, et revient toujours
au même endroit, faisant une manière de tremblement: rra.

MONSIEUR JOURDAIN: R, r, ra; r, r, r, r, r, ra. Cela est vrai.
Ah! l'habile homme que vous êtes! et que j'ai perdu de temps!
R, r, r, ra.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Je vous expliquerai à fond toutes
ces curiosités.

MONSIEUR JOURDAIN: Je vous en prie. Au reste, il faut que je vous
fasse une confidence. Je suis amoureux d'une personne de grande
qualité, et je souhaiterais que vous m'aidassiez à lui
écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser
tomber à ses pieds.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Fort bien.

MONSIEUR JOURDAIN: Cela sera galant, oui.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Sans doute. Sont-ce des vers que vous
lui voulez écrire?

MONSIEUR JOURDAIN: Non, non, point de vers.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Vous ne voulez que de la prose?

MONSIEUR JOURDAIN: Non, je ne veux ni prose ni vers.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Il faut bien que ce soit l'un, ou l'autre.

MONSIEUR JOURDAIN: Pourquoi?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Par la raison, Monsieur, qu'il n'y a
pour s'exprimer que la prose, ou les vers.

MONSIEUR JOURDAIN: Il n'y a que la prose ou les vers?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Non, Monsieur: tout ce qui n'est point
prose est vers; et tout ce qui n'est point vers est prose.

MONSIEUR JOURDAIN: Et comme l'on parle qu'est-ce que c'est donc que cela?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: De la prose.

MONSIEUR JOURDAIN: Quoi? quand je dis: "Nicole, apportez-moi
mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit" , c'est de la prose?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Oui, Monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN: Par ma foi! il y a plus de quarante ans que je
dis de la prose sans que j'en susse rien, et je vous suis le plus
obligé du monde de m'avoir appris cela. Je voudrais donc lui
mettre dans un billet: Belle Marquise, vos beaux yeux me font
mourir d'amour; mais je voudrais que cela fût mis d'une
manière galante, que cela fût tourné gentiment.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Mettre que les feux de ses yeux
réduisent votre cœur en cendres; que vous souffrez nuit et
jour pour elle les violences d'un.

MONSIEUR JOURDAIN: Non, non, non, je ne veux point tout cela; je
ne veux que ce que je vous ai dit: Belle Marquise, vos beaux yeux
me font mourir d'amour.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Il faut bien étendre un peu la chose.

MONSIEUR JOURDAIN: Non, vous dis-je, je ne veux que ces seules
paroles-là dans le billet; mais tournées à la mode; bien
arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour
voir, les diverses manières dont on les peut mettre.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: On les peut mettre premièrement
comme vous avez dit: Belle Marquise, vos beaux yeux me font
mourir d'amour. Ou bien: D'amour mourir me font, belle Marquise,
vos beaux yeux. Ou bien: Vos yeux beaux d'amour me font, belle
Marquise, mourir. Ou bien: Mourir vos beaux yeux, belle Marquise,
d'amour me font. Ou bien: Me font vos yeux beaux mourir, belle
Marquise, d'amour.

MONSIEUR JOURDAIN: Mais de toutes ces façons-là, laquelle
est la meilleure?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Celle que vous avez dite: Belle
Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.

MONSIEUR JOURDAIN: Cependant je n'ai point étudié, et j'ai
fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon
cœur, et vous prie de venir demain de bonne heure.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Je n'y manquerai pas.

MONSIEUR JOURDAIN: Comment? mon habit n'est point encore arrivé?

SECOND LAQUAIS: Non, Monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN: Ce maudit tailleur me fait bien attendre pour
un jour où j'ai tant d'affaires. J'enrage. Que la fièvre
quartaine puisse serrer bien fort le bourreau de tailleur! Au
diable le tailleur! La peste étouffe le tailleur! Si je le
tenais maintenant, ce tailleur détestable, ce chien de
tailleur-là, ce traître de tailleur, je…

acte II – Scène 2

MAÎTRE D'ARMES, MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE à DANSER,
MONSIEUR JOURDAIN, DEUX LAQUAIS.

MAÎTRE D'ARMES, après lui avoir mis le fleuret à la
main: Allons, Monsieur, la révérence. Votre corps droit. Un
peu penché sur la cuisse gauche. Les jambes point tant
écartées. Vos pieds sur une même ligne. Votre poignet
à l'opposite de votre hanche. La pointe de votre épée
vis-à-vis de votre épaule. Le bras pas tout à fait si
étendu. La main gauche à la hauteur de l'œil. L'épaule
gauche plus quartée. La tête droite. Le regard assuré.
Avancez! Le corps ferme. Touchez-moi l'épée de quarte, et
achevez de même! Une, deux. Remettez-vous! Redoublez de pied
ferme! Une, deux. Un saut en arrière. Quand vous portez la
botte, Monsieur, il faut que l'épée parte la première,
et que le corps soit bien effacé. Une, deux. Allons,
touchez-moi l'épée de tierce, et achevez de même.
Avancez. Le corps ferme. Avancez. Partez de là. Une, deux.
Remettez-vous. Redoublez. Une, deux. Un saut en arrière. En
garde, Monsieur, en garde.

Le Maître d'armes lui pousse deux ou trois bottes, en lui
disant: "En garde" .

MONSIEUR JOURDAIN: Euh?

MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous faites des merveilles.

MAÎTRE D'ARMES: Je vous l'ai déjà dit, tout le secret
des armes ne consiste qu'en deux choses, à donner, et à ne
point recevoir; et comme je vous fis voir l'autre jour par raison
démonstrative, il est impossible que vous receviez, si vous
savez détourner l'épée de votre ennemi de la ligne de
votre corps: ce qui ne dépend seulement que d'un petit
mouvement du poignet ou en dedans, ou en dehors.

MONSIEUR JOURDAIN: De cette façon donc, un homme, sans avoir
du cœur, est sûr de tuer son homme, et de n'être point
tué.

MAÎTRE D'ARMES: Sans doute. N'en vîtes-vous pas la
démonstration?

MONSIEUR JOURDAIN: Oui.

MAÎTRE D'ARMES: Et c'est en quoi l'on voit de quelle
considération nous autres nous devons être dans un état,
et combien la science des armes l'emporte hautement sur toutes
les autres sciences inutiles, comme la danse, la musique, la.

MAÎTRE à DANSER: Tout beau, Monsieur le tireur d'armes: ne
parlez de la danse qu'avec respect.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Apprenez, je vous prie, à mieux traiter
l'excellence de la musique.

MAÎTRE D'ARMES: Vous êtes de plaisantes gens, de vouloir
comparer vos sciences à la mienne!

MAÎTRE DE MUSIQUE: Voyez un peu l'homme d'importance!

MAÎTRE à DANSER: Voilà un plaisant animal, avec son
plastron!

MAÎTRE D'ARMES: Mon petit maître à danser, je vous
ferais danser comme il faut. Et vous, mon petit musicien, je vous
ferais chanter de la belle manière.

MAÎTRE à DANSER: Monsieur le batteur de fer, je vous
apprendrai votre métier.

MONSIEUR JOURDAIN, au Maître à danser: ètes-vous fou de
l'aller quereller, lui qui entend la tierce et la quarte, et qui
sait tuer un homme par raison démonstrative?

MAÎTRE à DANSER: Je me moque de sa raison démonstrative,
et de sa tierce et de sa quarte.

MONSIEUR JOURDAIN: Tout doux, vous dis-je.

MAÎTRE D'ARMES: Comment? petit impertinent.

MONSIEUR JOURDAIN: Eh! mon Maître d'armes!

MAÎTRE à DANSER: Comment? grand cheval de carrosse.

MONSIEUR JOURDAIN: Eh! mon Maître à danser.

MAÎTRE D'ARMES: Si je me jette sur vous.

MONSIEUR JOURDAIN: Doucement!

MAÎTRE à DANSER: Si je mets sur vous la main.

MONSIEUR JOURDAIN: Tout beau!

MAÎTRE D'ARMES: Je vous étrillerai d'un air.

MONSIEUR JOURDAIN: De grâce!

MAÎTRE à DANSER: Je vous rosserai d'une manière.

MONSIEUR JOURDAIN: Je vous prie!

MAÎTRE DE MUSIQUE: Laissez-nous un peu lui apprendre à parler.

MONSIEUR JOURDAIN: Mon Dieu! arrêtez-vous.

acte II – Scène 3

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE, MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE à
DANSER, MAÎTRE D'ARMES, MONSIEUR JOURDAIN, LAQUAIS.

MONSIEUR JOURDAIN: Holà, Monsieur le philosophe, vous arrivez
tout à propos avec votre philosophie. Venez un peu mettre la
paix entre ces personnes-ci.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Qu'est-ce donc? qu'y a-t-il, Messieurs?

MONSIEUR JOURDAIN: Ils se sont mis en colère pour la
préférence de leurs professions, jusqu'à se dire des
injures, et en vouloir venir aux mains.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Hé quoi? Messieurs, faut-il
s'emporter de la sorte? et n'avez-vous point lu le docte
traité que Sénèque a composé de la colère? Y
a-t-il rien de plus bas et de plus honteux que cette passion, qui
fait d'un homme une bête féroce? et la raison ne doit-elle
pas être maîtresse de tous nos mouvements?

MAÎTRE à DANSER: Comment, Monsieur, il vient nous dire des
injures à tous deux, en méprisant la danse que j'exerce, et
la musique dont il fait profession?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Un homme sage est au-dessus de toutes
les injures qu'on lui peut dire, et la grande réponse qu'on
doit faire aux outrages, c'est la modération et la patience.

MAÎTRE D'ARMES: Ils ont tous deux l'audace de vouloir comparer
leurs professions à la mienne.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Faut-il que cela vous émeuve? Ce
n'est pas de vaine gloire et de condition que les hommes doivent
disputer entre eux; et ce qui nous distingue parfaitement les uns
des autres, c'est la sagesse et la vertu.

MAÎTRE à DANSER: Je lui soutiens que la danse est une
science à laquelle on ne peut faire assez d'honneur.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Et moi, que la musique en est une que tous
les siècles ont révérée.

MAÎTRE D'ARMES: Et moi, je leur soutiens à tous deux que la
science de tirer des armes est la plus belle et la plus
nécessaire de toutes les sciences.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Et que sera donc la philosophie? Je
vous trouve tous trois bien impertinents de parler devant moi
avec cette arrogance, et de donner impudemment le nom de science
à des choses que l'on ne doit pas même honorer du nom
d'art, et qui ne peuvent être comprises que sous le nom de
métier misérable de gladiateur, de chanteur, et de baladin!

MAÎTRE D'ARMES: Allez! philosophe de chien.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Allez! belître de pédant.

MAÎTRE à DANSER: Allez! cuistre fieffé.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Comment? marauds que vous êtes.
Le philosophe se jette sur eux, et tous trois le chargent de
coups, et sortent en se battant.

MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur le philosophe.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Infâmes! coquins! insolents!

MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur le philosophe.

MAÎTRE D'ARMES: La peste l'animal!

MONSIEUR JOURDAIN: Messieurs.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Impudents!

MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur le philosophe.

MAÎTRE à DANSER: Diantre soit de l'âne bâté!

MONSIEUR JOURDAIN: Messieurs.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Scélérats!

MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur le philosophe.

MAÎTRE DE MUSIQUE: Au diable l'impertinent!

MONSIEUR JOURDAIN: Messieurs.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Fripons! gueux! traîtres! imposteurs!
Ils sortent.

MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur le Philosophe, Messieurs, Monsieur le
Philosophe, Messieurs, Monsieur le Philosophe. Oh! battez-vous
tant qu'il vous plaira: je n'y saurais que faire, et je n'irai
pas gâter ma robe pour vous séparer. Je serais bien fou de
m'aller fourrer parmi eux, pour recevoir quelque coup qui me
ferait mal.